Controversesau CNA

Éthique de l’esthétique

d'Lëtzebuerger Land vom 11.11.2010

Controverses au Centre national de l’audiovisuel (CNA), explore au moyen d’une sélection de 67 photographies retenues sur un total de 80 (faute d’espace disponible et de prêts non accordés), les polémiques que certains clichés ont pu provoquer à travers l’histoire de la photographie dans le monde depuis son invention en 1839 jusqu’à nos jours. Cinq ans de recherche ont été nécessaires aux commissaires d’exposition l’historien de l’art Daniel Giradin conservateur au Musée de l’Élysée à Lausanne, et Christian Pirker, avocat en Suisse spécialiste du droit de l’art et diplômé de l’École du Louvre. « Nous avons réuni environ 400 cas au départ, tout est parti de la volonté de constituer une collection de ces photographies et puis nous avons décidé d’en faire une exposition, » souligne ce dernier. L’ex­position itinérante est partie du Musée de l’Elysée de Lausanne (2008), passée par la Bibliothèque nationale de France, au Botanique (2009) au Kunsthaus Wien (2010) et est complémentée du livre illustré contenant 80 photos Controverses. Une histoire juridique et éthique de la photographie (Actes Sud, 2008).

Controverses est une bonne approche de la photographie, pédagogique, une exposition dossier, permettant à travers des images souvent fortes de se rendre compte de l’importance de l’image et des médias dans notre société. L’exposition est chronologique et traite de différents types de controverses en remontant le temps, articulée autour de trois thèmes principaux : le vrai et le faux, le bien et le mal, le privé et le public. « Ce qui nous a intéressé était de retranscrire une histoire qui s’imposait à nous et qui préexiste. La controverse s’apparente à des conflits et illustre les points de tension d’une société dans un moment T. L’objectif n’est pas de montrer des photographies scandaleuses, mais celles dans lesquelles s’expriment des versions contraires. Il s’agit d’une histoire de la photographie controversée. Notre parti pris est de montrer cette histoire de manière la plus neutre possible en présentant les décisions de justice et les questions posant les controverses. Les opinions de chacun peuvent être divergentes ». Ainsi chaque photographie est accompagnée de son texte explicatif et il faut prévoir du temps pour entrer dans ces histoires passionnantes et constater l’évolution de l’image, des conceptions culturelles et les interprétations de la loi dans la société. Les œuvres viennent de fonds, de prêts de collections muséales et privées.

Dans cette exposition sont montrées des photographies à procès sujettes à des contentieux, d’autres liées aux questions juridiques, mais aussi sociales, politiques, religieuses, sexuelles, aux droits à l’image et d’auteur avec la propriété intellectuelle ou bien posant des questions éthiques. Mais aussi sur le statut du médium en tant qu’art, de son originalité, de la copie, du plagiat, de la manipulation et de la retouche d’images à des fins politiques et de propagande par exemple. « On ne peut montrer que les ­gagnants. Thomas Condon a été condamné à 18 mois de prison pour avoir photographié des morgues. Avedon a photographié le mariage des Dior en mettant en scène des sosies, dont Onassis qui s’opposera à l’utilisation de son image pour promouvoir la marque. Nous n’avons pas reçu les autorisations ». L’exposition résout bien des mystères sur des images connues. La mort du soldat républicain de Robert Capa, mise en scène ou réalité, tout comme pour les charniers de Timiso­ara ? Les photographies retouchées de Staline afin de transmettre un message politique, Hitler mort, et celle de Che Guevara diffusée dans le monde sans l’accord de son auteur.

Même si l’accessibilité à la violence est plus grande aujourd’hui, Contro­verses pose la question de la liberté d’expression et de la censure. « Tom Forsythe qui a critiqué le consumérisme mettant en scène des femmes-objets a été attaqué par Mattel, la marque de Barbie, accusé de dénigrer leurs produits. Il y a une plus grande pression sur la liberté d’expression et cela amène souvent à l’autocensure. Le distributeur du magazine Photo a refusé de distribuer son magazine en Suisse contenant une œuvre de David Lachapelle craignant une plainte pour zoophilie. On revit le procès Mapplethorpe avec les cas des expositions Présumés Innocents au Capc de Bordeaux en 2000 et Larry Clark au Musée d’art moderne à Paris interdite au moins de 18 ans ». L’exposition Controverses est interdite au moins de seize ans non accompagnés car des clichés peuvent s’avérer « dangereux » selon le CNA pour le public en bas âge. Certains clichés sont forts et provocants, d’autres comme les deux dernières précitées ou Eva d’Irina Ionesco représentant une jeune fille nue et Piss Christ de Serrano n’y paraissent pas. Cependant ces thèmes sont traités dans l’exposition et le commissaire dément la polémique (annoncée dans des éditions précédentes du Land), qui a vu une censure dans cet accrochage, en affirmant : « L’espace du CNA nous a obligé à présenter une exposition plus petite que d’habitude et qui fonctionne dans un espace séparé. En tout état, en notre qualité de commissaires initiaux, nous n’avons à aucun moment subi une quelconque censure du CNA, ce que d’ailleurs nous n’aurions pas accepté ».

Controverses : Une histoire juridique et éthique de la photographie, jusqu’au 6 février, Centre national de l’audiovisuel, 1b rue du Centenaire, L-3475 Dude­lange. Ouvert du mardi au dimanche de 10 à 22 heures ; téléphone : 52 24 24-1 ; www.cna.public.lu.
Didier Damiani
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