La 37e édition de la Foire internationale d’art contemporain (Fiac), tenue du 21 au 24 octobre à Paris et qui vient de se clôturer, a affiché un franc succès de fréquentation avec plus de 85 660 visiteurs et 195 galeries d’art moderne et contemporain internationales (sur 640 ayant postulé) venues de 24 pays. Divisée en deux, sans compter les œuvres placées dans le jardin des Tuileries, pour le bonheur des uns et le malheur des autres, avec une partie au Grand Palais et une autre à la Cour Carrée du Louvre plus centrée sur l’art contemporain et les tendances émergentes, la Fiac a vu cette année apparaître de nouvelles galeries et marchands d’art venus notamment du Mexique ou du Japon, mais aussi en grande partie de Londres, de Berlin et des États-Unis. Si le Grand Palais abrite les grands noms des marchands d’art comme Victoria Miro, David Zwirner, Emmanuel Perrotin ou le New Yorkais Larry Gagosian qui vient d’inaugurer une galerie rue de Ponthieu, la Cour Carrée n’est pas en reste avec la présence de galeries de qualité comme les françaises Chez Valentin, Jousse Entreprise et Loevenbruck, l’allemande de Plan B et la galerie Aliceday de Bruxelles.
Les galeries luxembourgeoises sont au rendez-vous avec Bernard Ceysson et Beaumontpublic dirigée par Martine Schneider-Speller, qui a pensé un stand intelligent et expose notamment un billet géant de 500 euros représentant Viviane Reding munie d’ailes aux contours du grand-duché de Luxembourg et le portrait de la controversée Liliane Bettencourt ainsi que les inscriptions « Banque de tolérance, délit de solidarité » réalisé par un des jeunes artistes luxembourgeois les plus en vue du moment, Filip Markiewicz.
Œuvre politique et critique trop rare dans cette foire, ce que l’on peut regretter et constater, même si c’est celles qui gagnent des prix, preuve en est avec Dunepark, excavation d’un bunker de la Seconde Guerre mondiale du jeune Cyprien Gaillard, qui a remporté le Prix Marcel Duchamp doté de 35 000 euros et d’une exposition au Centre Pompidou en 2011. Ailleurs l’attention est retenue par une installation monumentale d’Anita Molinero chez Alain Gutharc, parc de jeux pour enfants, brûlé de toutes parts, questionnant la toxicité et les matériaux plastiques pouvant être utilisés en sculpture contemporaine, mais aussi ces gouaches drôles, intimes colorées et imaginaires d’Anne Brégeaut chez Sémiose ou encore la cabine téléphonique mystérieuse à l’histoire mythique de Bettina Samson chez Sultana.
L’économie repart, les chèques sont signés l’un après l’autre sur les bureaux des galeristes et les collectionneurs sont présents en masse, ce qui témoigne de la vitalité du marché de l’art résistant à la situation d’après crise et de la valeur sûre de l’investissement en art aujourd’hui. Au Grand Palais, figure du salon monstrueux de l’hyperconsommation sans âme, le galeriste Kamel Mennour étonne avec une sculpture tentaculaire et immense de l’artiste d’origine indienne Anish Kapoor, Slug un serpent géant totalement démesuré. Xavier Veilhan a portraituré l’architecte Jean Nouvel, sculpture d’un homme bleu venu de l’espace, sur le stand de Perrotin et Zwirner dévoue son stand au très grinçant Abdel Abdessemed, qui a posé au sol un cube de gibier concassé.
Au vernissage plutôt sobre et raisonnable cette année, le ministre de la Culture français Frédéric Mitterrand a choisi de s’arrêter chez Jérôme de Noirmont pour admirer les œuvres de Valérie Belin, George Condo et des tableaux de Penck à 300 000 euros. On peut également faire des découvertes comme Théo Mercier chez Gabrielle Maubrie exposant un monstre de spaghetti assis en penseur. La Fiac est devenue une foire mondiale incontournable, par contre les foires off (Slick, Cutlog, Chic Art Fair, Show Off) qui l’entourent et profitent de sa notoriété se dispersent dans la capitale et dégringolent en qualité.
À Londres, la huitième édition de Frieze, la jeune consœur qui s’est déroulée du 14 au 17 octobre et qui a décidé de coller la Fiac au calendrier, a elle attiré environ 60 000 visiteurs et 173 galeries d’art contemporain dont la majorité proviennent des États Unis, de Londres et de Berlin. On a pu remarquer également l’émergence de galeries d’Asie et d’Amérique du Sud, dont le Brésil. Les stands sont plus criards qu’à la foire française, avec des œuvres délibérément plus visuelles sans pour autant jouer dans la provocation. On retrouve les magnifiques photographies asiatisantes Ten Thousand Waves d’Isaac Julien sur plusieurs stands et une installation géante fait de pilule de Viagra par le britannique Damien Hirst sur le stand de Gagosian. « Grands noms mais prix sobres » constate The Art Newspaper dans son édition du 14 octobre. Les collectionneurs n’en démordent pas moins, la présence du genevois Pierre Huber, de Charles Saatchi, de Claudia Schiffer, mais aussi du collectionneur russe Dasha Zhukova ou encore du manager de hedge fund américain Steve Cohen rassurent les marchands à Regent’s Park. Les institutions achètent également, en témoigne la présence du directeur de la Tate Modern Nicholas Serota chez Hauser [&] Wirth exposant les dernières créations de Louise Bourgeois, magnifiques tableaux tissés aux motifs de toiles d’araignées, grande galerie venant d’inaugurer un nouvel espace monumental sur Sevile Road, la rue des couturiers de la City.
Le restaurant VIP est plein à craquer et les prix demandés en dollars sont fréquents. Les pièces de grandes envergures sont bien présentes sur les kilomètres de galeries pour en mettre plein les yeux. Les grandes galeries londoniennes sont représentées par White Cube et Victoria Miro exposant Yayoi Kusama et celles de New York par Lehmann Maupin présentant des néons aveuglants rouges de Tracey Emin, mais les nouvelles également avec Ibid Projects de Houxton Square. Subtil, la galerie Zero expose une installation de Pietro Roccasalva composée de livres ouverts retournés sur eux-mêmes et dont on ne peut pas voir le contenu... sauf si on les achète !
L’espace appelé Frame dédié aux jeunes galeries de moins de six ans déçoit un peu. Le Prix Cartier a été remporté par l’artiste méconnu anglo-japonais Simon Fujiwara avec son projet The Frozen City qui a creusé six excavations de fouilles archéologiques remplies de traces du passé dans le sol de Regent’s Park témoignant d’un marché datant de l’Empire romain et faisant le lien avec la foire contemporaine. Selon une source, les galeries de Frieze ont amené pour 375 millions de dollars de marchandise.
En traversant le parc à sculptures de la foire et notamment l’œuvre de Kaj Aune’s Trash consistant en une installation mobile faite d’ordures émettant du son et de la fumée, cap sur l’église de One Maylebone où il était possible de découvrir l’exposition collective Club 21 : Remaking the Scene, soutenue par le Mudam. Dans cette exposition l’artiste luxembourgeois Bert Theis a remontré son projet Isola Art Center fondé à Milan et Stina Fisch des illustrations d’oiseaux noirs s’envolant dans les escaliers. Ponomorev expose des astronautes et Jota Castro des panneaux solaires en forme de croix dans la nef. L’exposition qui se voulait sur le thème du clubbing et de la scène underground dans les années 1980, défrayant la police anglaise en proposant une performance d’un danseur nu le soir du vernissage, a pourtant été incohérente dans son propos, sans fil conducteur et avec des œuvres de qualité très variables.