Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est assez précis sur les mesures à prendre si nous voulons maintenir l’augmentation de la température inférieure à deux degrés Celsius à l’horizon 2100. Si les décisions radicales s’imposant en matière de production d’énergie, d’agriculture et du transport sont bien connues et relayées, celles concernant le secteur de l’investissement le sont beaucoup moins.
Reconnaissons cependant à l’industrie financière le mérite de ne pas avoir attendu la signature du protocole de Kyoto en 1999 pour avoir pris en compte la durabilité dans ses critères de sélection : Les premiers fonds ISR (pour « Investissement socialement responsable ») avec des critères ESG (pour « Environnement, social et gouvernance ») datent des années 1980. Ils se sont renforcés en nombre et en popularité au fur et à mesure que les questions climatiques ont pris de l’ampleur dans l’opinion publique. Ces produits intéressent aujourd’hui le cercle des investisseurs institutionnels privés, pour des raisons d’ordre éthique mais aussi pratique. Le fait que des grands réassureurs comme Munich Re refusent désormais de couvrir des destructions liées à des catastrophes environnementales aura fourni des arguments rationnels pour réorienter les investissements dans des activités plus durables.
Ces investissements dits « verts » ou « responsables » n’ont cependant pas révolutionné fondamentalement le rapport de force, très déséquilibré, entre les investissements durables et les autres. D’abord, parce qu’il n’existe toujours pas actuellement de critères déterminant de manière indiscutable ce qui différencie un ISR d’un investissement traditionnel. Ce ne sont pas les chartes non contraignantes qui manquent tels les « Principles for responsible investment » des Nations unies. Mais il n’existe pas de label sous contrôle public qui permettrait de faire le tri entre les investissements vraiment verts et le reste.
Mais, au-delà des polémiques sur le greenwashing, force est de constater que la proportion des investissements verts dans leur globalité ne représentent au mieux qu’une goutte d’eau dans un océan d’investissements au mieux gris clair souvent issus des mêmes acteurs. C’est pourquoi de nombreuses ONG comme FossilBanksNoThanks dénoncent avec force le double discours des organisations qui mettent en avant les quelques arbustes pour masquer l’incendie de la forêt de leurs investissements fossiles (y compris et surtout les plus polluants comme l’extraction des gaz et huiles de schiste, l’extraction des sables bitumineux ainsi que les forages en zone Arctique).
Prenons par exemple le marché des green bonds dont la place financière de Luxembourg s’est faite le fer de lance au niveau mondial. On estime que si on atteint le chiffre de 1 000 milliards de dollars d’investissements en green bonds en 2020, cela ne représenterait que 1 pour cent du marché obligatoire mondial. On voit donc qu’on est très loin du compte ! Mais, admettons que l’on arrive à une situation où tous les investisseurs privés comme publics éliminent progressivement leurs investissements fossiles et se convertissent massivement aux énergies vertes, et tout ceci dans un délai très rapide ; cela nous garantirait-il pour autant de maintenir une augmentation de température acceptable ?
Pas vraiment, d’après Finance Watch. L’ONG qui fait office de contre lobby financier à Bruxelles a plusieurs recommandations pour le législateur. Elle préconise de redéfinir de manière indiscutable ce qui différencie un investissement vert du reste, ce qui exige également un effort de transparence de la part des entreprises. Contrairement à la communication financière qui est ultra-réglementée et dont la moindre irrégularité expose le contrevenant à de lourdes sanctions, la communication sur le politique ESG repose sur la base du volontariat, et très peu de transnationales s’astreignent à publier un tel rapport annuel. (Pourtant, des modèles promus par la Global reporting initiative existent et pourraient fournir une base de comparaison indiscutable.)
Le Task force on climate-related financial disclosures, un groupe de travail de l’industrie financière présidé par Michael Bloomberg, le confirme ceci par cet aveu : « Compte tenu des changements urgents et sans précédent nécessaires pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, le Groupe de travail est préoccupé par le fait qu’un nombre insuffisant d’entreprises divulguent de l’information sur les risques et les possibilités liés au climat. »
Finance Watch demande à ce que les banques centrales prennent le risque climatique au sérieux lorsque celles-ci accordent des prêts aux banque privées. Ce qui inciterait les banques à adopter un comportement plus vertueux et privilégierait de fait les banques « vertes » et coopératives. Enfin, Finance Watch appuie l’idée d’un investissement massif de fonds publics dans la transition. Face au défi gigantesque que nous avons à relever, les capitaux privés, quand bien même orientés à cent pour cent vers la transition énergétique, ne pourront pas suivre « l’effort de guerre » demandé par une transition énergétique.
Ces préoccupations sont partagées par Jérémie Désir, un ancien analyste quantitatif à HSBC qui a démissionné de son poste en dénonçant le comportement du capitalisme financier par rapport à la question climatique. Dans sa lettre de démission, il écrit : « Les seules institutions légitimes […] sont impuissantes devant un secteur privé incontrôlable et hostile aux moindres formes de régulation. […] Aucune de ces firmes ne tient à dévoiler publiquement la contre-partie meurtrière pour la terre et les hommes de leurs profits et valorisations toujours plus déconnectés de toute réalité physique. En outre, cela donnerait une mesure indiscutable de la toxicité d’un libre-échange toujours plus énergivore, pourtant second pilier du capitalisme. »
Aline Fares et Lora Verheecke, respectivement consultante indépendante et chercheuse en politique commerciale pour Friends of the earth Europe, vont encore plus loi en affirmant que, vert ou pas, « le capitalisme financier continuerait selon les mêmes logiques de recherche de profits à court terme qui ont démontré leur propension à détruire le vivant. Il continuerait également à nourrir une injustice sociale criante et des inégalités de plus en plus insoutenables. »
Elles proposent donc une remise à plat global avec démantèlement et nationalisation partielle des banques systémique (sans oublier les fonds géants dont BlackRock qui pèse à lui seul quasiment l’équivalent du PIB des États-Unis). En effet, un investissement massif de type « Green New Deal » ne pourra être efficace dans le cadre d’un capitalisme financier dérégulé tel que nous le connaissons. Celui-ci est amené à créer de plus en plus de dettes (publiques comme privées) et nous mène immanquablement à une crise majeure.
Évidemment, de telles réformes remettant en cause radicalement la propriété privée et le droit quasi-divin de l’investisseur demanderont à la fois une volonté et un courage politiques sans précédent. Nous sommes cependant à la croisée des chemins, et les mouvements de jeunesse ne vont pas se contenter de mesurettes comme il a été question dans le passé. Mais comme l’a dit Greta Thunberg : « Si nous pouvons sauver les banques, alors nous pouvons sauver le monde ».