Le ministre du Logement Marco Schank, CSV, a réussi l’exploit de faire passer « comme une lettre à la poste » au conseil de gouvernement un projet de loi qui va déboucher sur la création de la Société nationale de développement urbain (SNDU), super-structure de droit privé destinée, à moyen terme, à noyauter la politique du logement social du gouvernement et à la rendre plus efficace qu’elle ne l’est aujourd’hui. C’est du moins sa justification officielle.
Un second volet du texte prévoit de faire du Fonds du logement, opérant actuellement sous le statut d’établissement public, une société de droit privé chargée exclusivement de la gestion du parc locatif de l’État. Privatisé, le fonds deviendrait ainsi une des « filiales » de la SNDU, qui se rêve un grand destin. « La forme juridique d’un établissement public, note l’exposé des motifs, ne permet pas la souplesse et la flexibilité dont le Fonds du logement a besoin pour son développement et pour l’accomplissement de ses missions ». Or, avant de montrer du doigt les statuts, les responsables de la politique du logement feraient probablement mieux de s’interroger sur les raisons qui sont à l’origine du peu d’efficacité déployé par le Fonds et de l’inadaptation de son modèle d’affaires, notamment pour construire moins cher.
On peut en effet se demander si la faible productivité du Fonds du Logement et les prix élevés des maisons (autour de 400 000 euros) et appartements prétendument « sociaux » qu’il met en vente, ne vient pas tout bêtement du fait qu’il n’a pas de dirigeant à temps plein ? Cumulard devant l’éternel, Daniel Miltgen, son président directeur, a multiplié les mandats et les responsabilités au sein des ministères du Logement et de l’Environnement, au point qu’on se demande comment il trouve le temps de diriger le Fonds du logement et pourquoi son patron ministre ne lui trouve pas un successeur plus disponible.
On distingue mal d’ailleurs, à la lecture du projet de loi, la logique économique derrière un projet de loi « attrape-tout », qui servira sans doute davantage le faire-valoir de l’actuel président directeur du Fonds du Logement (qui ne devrait pas dédaigner de se faire confier la présidence de la super-structure SNDU) qu’à donner un coup de booster à la politique immobilière bon marché du gouvernement et lui faire respecter ses promesses de construire plus de logements à des prix abordables.
La SNDU est censée remplacer le Fonds du logement « pour devenir un des principaux outils pour mener la politique du logement, du développement urbain et d’aménagement du territoire » et devenir une sorte de « support technique » aux communes engagées dans le Pacte logement. À terme d’ailleurs, le gouvernement envisage l’ouverture du capital à « un autre actionnariat ». La Société nationale s’ouvrira « à d’autres formules associatives, telles que le partenariat public-privé, voire d’autres formes juridiques et financières appropriées au cas par cas », souligne le projet de loi.
Il s’agit d’abord, selon l’exposé des motifs, de réaliser des économies d’échelle à travers des synergies, notamment dans le partage des investissements informatiques, la mise en commun du département comptabilité et une prise de décision centralisée. Cette création de synergies passera évidemment par un rapprochement (fusion des patrimoines ?) du Fonds du logement avec la Société nationale d’habitations à bon marché (SNHBM), que l’État contrôle à hauteur de 51,07 pour cent seulement, le reste du capital étant essentiellement réparti entre plusieurs grosses communes luxembourgeoises, en un « pôle unique de compétences ». Ces 51 pour cent seront apportés par l’État dans la corbeille de baptême de la SNDU, sans que le Conseil d’administration de la SNHBM en ait encore bien mesuré les enjeux, n’ayant pas été associé à la rédaction du projet de loi– et certains de ses membres, contactés par le Land, le déplorent, affirmant que la société ne se laissera pas déposséder si facilement. La prise de position de la SNHBM est attendue pour le mois de janvier.
Une seule entité, avancent les auteurs du projet de loi, « empêchera la dispersion des ressources et permettra également de mieux coordonner l’action de l’État, d’atteindre certains effets de synergie tout en accroissant la transparence ». Le projet de loi reste en revanche totalement muet sur la faisabilité opérationnelle d’une telle société (on parle de projet de scission, comme s’il s’agissait d’une opération anodine), pas plus qu’il ne chiffre les synergies qui pourraient être réalisées avec la SNHBM. On a l’impression que le ministre du Logement attend des députés qu’ils lui donnent un chèque en blanc pour créer le cadre juridique de la Société nationale de développement urbain et qu’une fois cette étape franchie, on arrangera en interne la partition, via notamment des règlements grand-ducaux fourre-tout réglant les détails techniques comme le partage du patrimoine entre la société faîtière et le Fonds du logement revisité, la fusion d’activités ou le regroupement de services avec la SNHBM. La fusion du Fonds du logement, en panne de productivité, avec la SNHBM, qui a montré son dynamisme cette année en construisant ou rénovant 270 logements – un bilan que le Fonds est loin d’avoir atteint – est sans doute le seul objectif du projet de loi, le reste du texte étant de l’enrobage, pour ne pas dire du bricolage qui risque de ne pas résister aux examens de passage devant le Conseil d’État et des députés, compte tenu des enjeux financiers, politiques, juridiques et sociaux énormes qui sont derrière cette réforme. Or, une fusion, toujours lourde à gérer en termes administratifs et opérationnels, pourrait paralyser l’activité des deux « promoteurs » publics et la construction de logements à des prix abordables pourrait souffrir des arbitrages qui devront être faits ainsi que de la mise en œuvre de la nouvelle « entreprise ».
Les auteurs du texte laissent planer le doute sur le sort que l’État réservera à sa participation de 51,07 pour cent dans la SNHBM : l’État, indiquent-ils, garde l’option de les céder soit à la SNDU, soit à la FDL-N (Fonds du logement en version société de droit privé, ndlr). Bien sûr, l’État devra, le cas échéant, respecter les statuts de la SNHBM ». Il ne fait aucun doute que le Fonds du Logement entend faire main basse sur sa « concurrente », la SNHBM. Reste à savoir quel accueil son conseil d’administration fera du projet de loi qui devrait en partie sceller son destin et s’il osera la confrontation avec le ministre Marco Schank et son entourage. C’est d’ailleurs un secret de polichinelle que l’ancien président du Conseil d’administration de la SNHBM, Emmanuel Baumann, a été écarté de ses fonctions il y a un an, à la surprise générale et à la sienne en particulier, car il ne s’attendait évidemment pas à cette éviction ourdie par le ministre du Logement, sans doute lui-même aiguillonné par le président directeur du Fonds du logement. Le ministre CSV a ensuite placé à la présidence du conseil d’administration une fonctionnaire dévouée du ministère du Logement, inconnue jusqu’alors au bataillon, sans poids politique ni expérience pour présider une société d’une telle envergure et imposer ses vues.
Vendues comme étant des modèles plus transparents que les établissements publics, les futures « sociétés nationales » de droit privé (SNDU et FDL-N) feront l’objet d’un contrôle par la Cour des comptes, mais, pour autant, échapperont à la surveillance d’un ou plusieurs commissaires aux comptes, pour la très bonne raison que ces sociétés seront déjà surveillées par leurs conseils de surveillance respectifs. On se demande comment sérieusement le ministre du Logement Marco Schank imagine qu’il pourra aller « vendre » un projet de loi aussi mal ficelé aux députés sans risquer de se faire huer. Quand est-ce que ce gouvernement prendra-t-il son rôle au sérieux pour offrir de quoi se loger décemment aux résidents, sans qu’ils soient obligés d’aller habiter en France, en Belgique et en Allemagne tellement les prix de l’immobilier résidentiel sont devenus prohibitifs ?