Les résidences d’artistes sont un sujet qui passionne aussi bien les acteurs culturels institutionnels que les artistes qui peuvent en bénéficier. Aussi les entretiens menés au cours de la préparation de cet article ont ouvert beaucoup de pistes, à explorer, impossibles à résumer ici. Pour souligner l’importance qu’ont pris ces échanges internationaux, on citera par exemple les résidences d’artistes du CNA – dont le bénéficiaire actuel est Ezo D’Agostino, de nationalité italienne, qui a été précédé par l’Irlandais Paul Gaffney – ou encore la résidence du Steichen Award à New York – dont la dernière bénéficière a été Sophie Jung, une des jeunes artistes montantes luxembourgeoises. Christine Walentiny, qui accompagne depuis cinq ans les artistes en résidence du Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, semble indiquer que son rôle peut aller jusqu’à « nounou » et interprète dans le cas de non maîtrise d’une des langues parlées au grand-duché… mais insiste plus sérieusement sur l’indispensable part d’accompagnement, de facilitatrice d’échanges, de suivi et de soutien.
Une tâche de « tutorat humain » aux facettes multiples confirmée par Jo Kox à la tête du Fonds culturel national (Focuna), soulignant l’esprit professionnel des acteurs institutionnels et qui espère voir le soutien financier accru dans le futur et mis en place de telle manière à « libérer » l’esprit des artistes de la gestion matérielle. Guy Arendt (DP), secrétaire d’État à la Culture, insiste sur les aspects diversifiés des demandes (proposer une candidature spontanée ou dans le cadre précis d’un appel à candidatures, voire sans limite d’âge), le large panel des résidences toutes disciplines artistiques confondues, l’esprit collégial des jurys (Valérie Quilez, Danielle Igniti et Carine Krecké ont choisi Marco Godinho dans le cadre de l’appel à projets du ministère pour la Cité des arts à Paris).
Quid des résultats visibles d’une résidence ? Une résidence d’artiste peut déboucher sur une production « réelle », mais la production d’une œuvre concrète n’est pas obligatoire – dans le cadre d’un projet de recherche – sachant que les artistes rendent compte de leur résidence dans un rapport à l’institution qui leur a accordé la résidence.
Claudia Passeri revient d’un séjour à la Fonderie Darling à Montréal et Marco Godinho séjournera à la fin de l’année à la Cité des arts à Paris. Pour les deux artistes interrogés, l’essentiel est dans l’énergie que leur a donné ou promettent les liens tissés, les nouvelles rencontres, un réseau d’échanges élargi tant au plan humain avec d’autres artistes et responsables institutionnels que la mise à disposition de lieux adéquats pour leurs recherches.
Claudia Passeri : récit canadien
d’Land : Comment avez-vous formulé votre demande et dans quel but ?
Claudia Passeri : J’ai formulé ma demande avec une idée de recherche assez large, liée entre autres aux migrations et au monde du travail, dimensions récurrentes de mon travail. Lors de mon séjour à Montréal, je me suis donc intéressée à la migration italienne, au quartier de la Petite Italie et son église Madonna della Difesa. Le chœur de cette église, érigée par la communauté italienne de Montréal, comporte une fresque de Guido Nincheri représentant Benito Mussolini à cheval (1933). Cette fresque est toujours visible et a été récemment restaurée malgré son caractère controversé… Mais étant donné que c’est une résidence de recherche et de création sans obligation de production, j’ai aussi pu travailler à différents projets, notamment à une exposition à Florence (qui vient de se terminer). D’autres projets exigent encore de plus amples recherches, d’autres enfin ne demandent qu’à être réalisés...
Quel est votre bilan de ce séjour à Montréal ?
Cette résidence permet la diffusion et la visibilité du travail de ses résidents. J’ai pu présenter mon travail en cours à de nombreuses reprises à plusieurs curateurs indépendants et curateurs d’institutions. Une soirée portes-ouvertes a été organisée à la Fonderie Darling. L’évènement La Fonderie Darling dessus-dessous avait pour objet d’ouvrir l’espace d’exposition et les ateliers aux riverains. À cette occasion, j’ai organisé deux visites de groupes dans mon atelier et présenté mon travail et mes recherches en cours. Une soirée de présentation des recherches des résidents internationaux s’est déroulée en fin de résidence. Stéphanie Lagarde (France), Sashikant Thavudoz (Inde) et moi-même avons présenté dans l’espace commun de la résidence nos recherches et travaux récents. Ces présentations ont été suivies d’une séance conviviale et prolongée de questions-réponses. Nous avons par après accueilli le public dans nos ateliers respectifs, où l’échange a pu être approfondi.
Quels sont les enseignements que vous retirez de cette expérience à l’étranger ?
Cette expérience m’a permis de travailler dans des conditions idéales, elle m’a permis de montrer mon travail et de me confronter avec un nouveau public, de tisser des liens avec des artistes et curateurs. Elle m’a aussi permis de découvrir la scène artistique de Montréal et comment elle fonctionne – dont des centres d’art autogérés passionnants.
Jugez-vous que vous avez eu de bons moyens de travail ? Que c’est un soutien efficient de la part du Luxembourg ?
Le Focuna et la Fonderie Darling m’ont donné des conditions de travail idéales. D’un côté, les ateliers-logements sont spacieux et lumineux et la visibilité et l’encadrement sont exemplaires : dès avant mon départ, le Focuna m’a introduite auprès de nombreuses personnes à Montréal, des artistes et des curateurs. Par ailleurs, la Fonderie Darling est organisée de telle façon que j’ai pu très vite entrer en contact avec le monde de l’art à Montréal : j’ai fait des visites d’ateliers, assisté à des présentations de travaux, des portes ouvertes, j’ai visité et été introduite dans de nombreux centres d’art.
Marco Godinho : attentes parisiennes
d’Land : Vous avez plusieurs expositions en France cette année – MacVal, Biennale de Lyon (en septembre), à Béthune - pourquoi vouloir aller en plus à Paris ?
Marco Godinho : Une résidence à Paris, me permettra de continuer les discussions avec des artistes/commissaires/institutions avec qui j’entretiens des liens depuis des années ou plus récents – et de faire de nouvelles rencontres. Une résidence d’artiste est faite pour ça. La résidence d’artiste à Paris cette année est essentielle pour moi dans le cadre d’une exposition à concevoir à la Progress Gallery, qui durera deux mois, d’octobre à novembre prochain. L’idée est de réaliser une intervention in situ qui prolonge mes recherches liées à la déambulation, au voyage et plus particulièrement à la relation espace-temps, tout en ouvrant à des questions environnementales et sociales. La résidence à la Cité internationale des arts sera essentielle pour moi à ce moment-là pour pouvoir travailler avec les différents collaborateurs et dynamiser sur place tous les événements tout au long de l’exposition en collaboration avec d’autres artistes, curateurs, musiciens, acteurs, un programme de lectures performées…
Auprès de quel organisme avez-vous postulé ?
Le ministère de la Culture.
Qu’attendiez-vous au plan institutionnel ?
La prise en charge des frais d’atelier-logement et de bénéficier d’une allocation de séjour forfaitaire. C’est une véritable aide pour que l’artiste puisse développer ses projets.
La résidence vous impose-t-elle aussi des obligations ?
Aucune. Mais j’ai l’intention d’organiser des rencontres et des événements ponctuels pendant ma résidence à la Cité des arts.