En parallèle aux expositions de Lee Bul et de Thea Djordjadze, le Mudam consacre l’un des ses espaces, au premier étage, au duo artistique Lutz & Guggisberg. Les deux artistes suisses y proposent un parcours à travers un monde fantastique réalisé grâce à l’assemblage et la combinaison de différentes matières et aussi de différentes formes d’art. Cet ensemble hybride, dénommé The Forest, fait preuve à la fois d’humour et d’absurdité tout en constituant une encyclopédie merveilleuse.
Pour leurs œuvres, Andres Lutz (né en 1968) et Anders Guggisberg (né en 1966), qui collaborent depuis 1996, se servent d’objets du quotidien, d’objets trouvés, voire de bric-à-brac, qu’ils arrangent, fixent et collent ensemble afin d’en constituer une histoire. The Forest est le conte d’un monde naturel créé à partir d’éléments artificiels. Composé de peintures murales noires et vertes, de vidéos, d’échelles, d’une étagère avec des pains et d’une sculpture confectionnée à partir de différents bâtonnets en bois accrochés au plafond (Holzschleife), l’ensemble présenté au Mudam semble peuplé par un groupe de sculptures en plâtre, de petits êtres en papier plié noir, d’un masque d’oiseau (Vogelmaske) et d’un cerf rouge, dépeint sur une photographie (de la série Loch im Spiegel).
L’impression de se promener ou de s’aventurer dans une forêt est renforcée par les cinq photolithographies noires et obscures de troncs d’arbre (Strunke). Cette série est cependant plus qu’une simple représentation de parties végétales ; elle se conçoit aussi comme référence indirecte aux peintures monochromes, notamment aux tableaux noirs d’Ad Reinhardt, où la capacité d’observation du spectateur est défiée par les différentes nuances noires. Une ambigüité similaire est inhérente à l’œuvre Landscape pour laquelle de la poussière est empilée derrière une grande vitre. Si le titre évoque l’image d’un paysage naturel, le matériau quant à lui rappelle les incidents à l’académie des arts à Düsseldorf en 1986 ou à la Tate Modern en 2005, où les femmes de ménage ont nettoyé respectivement mis aux ordures la Fettecke de Beuys ou un sac contentant du papier de Gustav Metzger.
Le paysage singulier imaginé par Lutz & Guggisberg ne se limite pas à une forêt. Les vidéos Höhlenforscher et Mann im Schnee lui confèrent plus de profondeur, voire d’altitude. Mann im Schnee montre un personnage se promenant dans les montagnes enneigées et est projeté en haut du mur de la salle d’exposition. En face de l’espace de projection de la vidéo, les artistes ont installé la série de sculptures emplâtrées blanches, composées de formes végétales et animales (comme un bois de cerf) et des objets géométriques (une cage de chat ou une baignoire) et donnant l’impression d’avancer dans l’espace à la manière d’un convoi de traîneaux de neige en miniature. Une troisième vidéo (Galaxy Evolution Melody), projetée un peu à l’écart, témoigne de la même qualité chorégraphique que la mise-en-scène de l’ensemble. Proche des vidéos de Fischli/Weiss, cette œuvre montre, sous forme d’un triptyque et de façon quasi poétique, une suite de déplacements d’objets en bois ou en carton, des balles ou des pelotes de laine.
Grâce à l’esprit dadaïste et de son côté absurde, l’œuvre de Lutz & Guggisberg permet de déambuler dans un paysage extraordinaire, où tout acquiert une dimension nouvelle. Autant l’ensemble que les détails qui le constituent comptent et ouvrent la porte à une interprétation ambivalente et à l’association libre. Les peintures murales qui cadrent le tout sont gigantesques et viennent contrarier la légèreté des sculptures et des constructions en bois. Se situant entre œuvre et architecture, l’installation révèle quelque chose d’archaïque tout en rappelant à la mémoire les jeux enfantins enfouis dans les caveaux de l’intellect et pourtant nécessaires pour s’engager dans le monde des artistes.