Les autorités chinoises et indiennes ont commencé ces dernières semaines à limiter l’utilisation de la crypto-devise Bitcoin sur leurs territoires respectifs. Début décembre, les régulateurs chinois ont instruit les plateformes nationales de paiement de cesser de travailler avec les bourses de Bitcoins établies en Chine, entraînant une chute momentanée de 35 pour cent du cours mondial du Bitcoin. BTC-China, la plus importante bourse de Bitcoins du monde, a annoncé qu’elle cessait d’accepter les dépôts en yuans. La semaine dernière, c’est au tour des autorités indiennes d’avoir exprimé leur méfiance à l’égard de la devise, par le biais d’un avertissement émis par la banque centrale, la Reserve Bank of India. Plusieurs acteurs du marché des Bitcoins dans ce pays ont fermé leurs portes ; le domicile d’un homme dirigeant la plus grande de ces places de marché en Inde a été perquisitionné. Son site, BuySellBitCo.in, a cessé de fonctionner, suivi par d’autres plateformes analogues.
Les banques centrales occidentales, bien que méfiantes elles aussi à l’égard des monnaies digitales comme Bitcoin, ne sont pas allées jusqu’à les interdire, du moins pour l’instant. Mt. Gox, une importante bourse de Bitcoins située à Tokyo, a eu des ennuis lorsqu’elle a été accusée par les autorités américaines d’avoir enfreint la réglementation sur les transferts d’argent en ne s’enregistrant pas comme il fallait auprès des autorités.
Mais dans l’ensemble elles laissent faire, observant le phénomène avec attention et reconnaissant que ces monnaies, qui reposent sur la technologie davantage que sur les attributs classiques du privilège de battre monnaie, présentent au moins un intérêt : celui de pouvoir fluidifier et rendre meilleur marché les transactions. La réaction bien plus répressive des autorités chinoises et indiennes n’en est que plus révélatrice du défi que le Bitcoin représente à leurs yeux. Veulent-elles inhiber la convertibilité de leur monnaie avec le Bitcoin pour préserver leur économie des risques de sa volatililé avérée ? On se doute que même si cette considération peut jouer un rôle, elles sont motivées davantage par la crainte qu’une fois installé dans le paysage monétaire, le Bitcoin ou d’autres monnaies similaires érodent de manière significative le pouvoir de leur banque centrale et de leur système bancaire. Le Bitcoin, créé il y a cinq ans, permet en effet de s’affranchir des contraintes imposées par les banques centrales puisqu’il existe indépendamment des monnaies conventionnelles. À ce titre, et en dépit de la forte volatilité dont il fait preuve à ce jour, il peut aussi représenter une promesse de refuge sûr en cas de tourmente financière ou monétaire – une considération qui joue sans doute un rôle, dans un monde qui a en 2008 échappé de peu à un effondrement bancaire pour être ensuite ébranlé par la crise de la dette souveraine. Mais le Bitcoin ou d’autres crypto-devises permettent aussi de mettre en place des structures de paiement et de transfert qui se jouent des frontières et des commissions imposées par les banques, cartes de crédit et systèmes de paiement en ligne.
L’offensive des gouvernements chinois et indien est-elle, en creux, le signe que le Bitcoin constitue vraiment une menace pour les ordres monétaires et financiers établis ? L’économiste Paul Krugman, dans son blog « The Conscience of a Liberal », est sceptique quant au potentiel du Bitcoin, l’estimant incapable d’assumer l’un des deux apanages d’une monnaie, celui d’être « une réserve de valeur raisonnablement stable », l’autre étant d’être un véhicule d’échange. Mais dans le même New York Times qui publie Paul Krugman, on trouvera, dans un article annonçant un investissement de 25 millions de dollars d’Andreessen Horowitz, une des grandes firmes de capital-risque de la Silicon Valley, dans la start-up Coinbase, un ardent plaidoyer en faveur de la nouvelle devise. Coinbase se propose de faciliter l’adoption des devises virtuelles par le grand public. Chris Dixon, partenaire chez Andreesen Horowitz, estime que le bitcoin est une des cinq meilleures idées informatiques de ces quarante dernières années et prédit qu’Amazon acceptera les paiements en bitcoins d’ici cinq ans.