Lorsque huit des plus grandes entreprises technologiques, Microsoft, Google, Apple, Facebook, Twitter, Yahoo, AOL et LinkedIn, publient de larges placards publicitaires invitant les autorités des États-Unis, à travers une lettre ouverte au Président Barack Obama, à modifier les pratiques de surveillance, on est tenté, dans un premier temps, de se dire « Enfin ! »
« Les révélations de cet été ont mis en évidence le besoin urgent de réformer les pratiques de surveillance des gouvernements à l’échelle mondiale », écrivent ces huit entreprises dans des annonces en pleine page publiées notamment dans le New York Times, assorties d’un site web, reformgovernmentsurveillance.com. « L’équilibre dans de nombreux pays a basculé de façon excessive en faveur de l’État au détriment des droits des individus, droits qui sont inscrits dans notre Constitution. Cela ébranle les libertés que nous chérissons. Il est temps de changer », écrivent encore les signataires. « En ligne avec les standards mondiaux de libre expression et de protection de la vie privée et avec l’objectif de faire en sorte que l’application de la loi par le gouvernement et les efforts de renseignement soient encadrés par des règles, dimensionnés étroitement, transparents et soumis à un contrôle », les signataires énumèrent cinq principes qui doivent selon eux guider les autorités dans leurs efforts de réforme : limiter les droits de collecte de données par les autorités, définir un cadre strict pour les services de renseignement les contraignant à rendre compte des collectes de données effectuées, offrir plus de transparence, en publiant des données sur les requêtes aux entreprises, qui doivent aussi pouvoir faire état de ces demandes, respecter le libre flux des informations, une demande qui s’oppose aux visées de gouvernements tentés, comme le Brésil, de limiter le transfert des données d’utilisateurs vers les serveurs des géants américains du Net, et enfin créer un cadre réglementaire global pour les demandes d’accès aux données.
L’appel est assorti de déclarations des CEO ou directeurs juridiques des entreprises signataires (sauf, bizarrement, Apple, dont le nom figure pourtant parmi les signataires de la lettre ouverte) soulignant, pour la plupart, la nécessité pour leurs utilisateurs de pouvoir être sûrs que leurs données sont bien protégées.
L’initiative prise par ces huit géants technologiques marque-t-elle le sursaut de ceux qui ont figuré, bon gré mal gré, parmi les auxiliaires des abus révélés par Edward Snowden en juin dernier ? Ou bien s’agit-il d’une tentative tardive de se racheter une conduite auprès des consommateurs, dont la confiance a été ébranlée ? Sans doute les deux, mais on a du mal à se départir du soupçon que derrière ces cris d’orfraie, poussés au nom des intérêts des citoyens-internautes, se cache un effort de lobbying pour empêcher que d’éventuelles réformes n’aboutissent à des règles contraires à leurs modèles d’affaires. Après tout, ces entreprises vivent, pour l’essentiel, de la collecte et de l’exploitation des données que leur confient leurs utilisateurs. Avec le fameux « data mining », elles se livrent à une activité qui a des similitudes avec l’accumulation massive de données privées pratiquée par la NSA.
Leur demande de ne pas entraver le stockage transfrontière révèle leur crainte de se voir imposer une démultiplication des lieux de stockage qui serait, du point de vue des signataires, coûteuse et contreproductive, comme l’explique la phrase introductive du principe « respecter le libre flux des informations » : « La possiblité pour les données de circuler ou d’être accédées au-delà des frontières est essentielle à une robuste économie mondiale du XXIe siècle ».
Clairement, ces grandes entreprises technologiques tentent de limiter les dégâts après avoir été éclaboussées par les révélations sur l’ampleur de l’espionnage des données que leur ont confiées les internautes. Mais elles peinent à convaincre de leur bonne foi.