Un juge fédéral a statué en début de semaine que le stockage massif des métadonnées téléphoniques des citoyens américains par l'Agence nationale de sécurité (NSA) des États-Unis est anticonstitutionnel car contraire au quatrième amendement à la Constitution américaine qui protège la vie privée. Ce juge, Richard J. Leon, d’une Cour civile du District of Columbia, a estimé que ce programme de stockage à grande échelle des numéros appelés et des durées des appels empiète sur les valeurs défendues par cet amendement, et il n’a pas mâché ses mots. John Madison, un des principaux auteurs de la Constitution, aurait été « atterré » par ces pratiques, s’est il emporté, assénant : « Je ne peux pas imaginer une invasion plus indiscriminée et arbitraire que cette collecte et rétention systémique et de haute technologie de données personnelles sur pratiquement chaque citoyen individuel à des fins de recherche et d’analyse ». Pour lui, l’administration n’est pas parvenue à étayer sérieusement l’argument que ce programme de surveillance était nécessaire pour assurer la sécurité nationale.
Il s’agit du premier jugement sur la constitutionnalité d’un des dispositifs secrets de la NSA révélés en juin dernier par le sonneur d’alerte Edward Snowden. Ce dernier s’est d’ailleurs aussitôt manifesté, s’exprimant par la voix de son relais journalistique Glenn Greenwald. « Aujourd'hui, un programme secret autorisé par un tribunal secret, maintenant qu'il est exposé au grand jour, a été jugé comme violant les droits des Américains », a-t-il déclaré.
Le juge Leon a donné droit à des plaignants dont Larry Klayman, avocat activiste conservateur qui a dégainé le 6 juin 2013, dès le lendemain des révélations d’Edward Snowden. Klayman fait partie de ces fanatiques qui entendent prouver que Barack Obama n’est pas né aux États-Unis.
Pour justifier son programme de surveillance, la NSA s’appuyait sur une décision de la Cour suprême de 1979, dite Smith vs. Maryland. La Cour avait alors donné raison aux autorités qui avaient recueilli les numéros de téléphones appelés par un homme accusé d’harcèlement téléphonique, en faisant valoir qu’on ne peut pas s’attendre à une protection de numéros appelés au titre de la sphère privée puisqu’il s’agit d’« enregistrements commerciaux », que leur collecte est distincte d’une perquisition et peut se faire sans décision de justice. Le juge Leon a estimé qu’entre les technologies disponibles en 1979 et le programme de surveillance de la NSA il y avait un monde, et que du fait de l’évolution des technologies, des capacités de surveillance du gouvernement, des habitudes des citoyens en matière de téléphonie et des relations entre la NSA et les entreprises de télécommunications, ce précédent est aujourd’hui tout simplement inapplicable.
Peut-on espérer pour autant que les pratiques abusives de la NSA cesseront ? Il ne faut pas se réjouir trop tôt. D’abord, le juge Leon, qui a été nommé par le président George W. Bush, est certes monté sur ses grands chevaux pour dénoncer tant les pratiques elles-mêmes que les procédures censées les encadrer (les demandes de la NSA sont examinées par une juridiction secrète, la Foreign Intelligence Surveillance Court), mais il a pris le soin de suspendre son jugement, qui ordonne notamment la fin de la collecte des métadonnées des plaignants par la NSA et la destruction de ces dernières, en attendant la décision d’un juge d’appel. Entre cet appel et un probable recours à la Cour suprême, un an au moins va s’écouler pendant lequel l’agence va pouvoir continuer d’espionner les Américains.
Mais au moins peut-on espérer que d’autres juges dénonceront à leur tour ces abus et mettront sous pression l’administration américaine pour qu’elle mette enfin au pas la NSA. L’Electronic Frontier Foundation, alliée à d’autres associations, a porté plainte à la mi-juillet, ce qui lui a permis de présenter des griefs élargis : selon l’EFF, le programme de surveillance est contraire non seulement au quatrième, mais aussi aux premier et cinquième amendements, portant du coup aussi le débat sur le terrain de la liberté d’expression.