Les bancs sont rabibochés par du gros tape noir, les chaises blanches sont de chez Ikea et en guise de tables, de grandes boîtes blanches ont été enveloppées de plastique fuchsia : bienvenue dans la vraie vie du secteur culturel. Le Carré, d’abord occupé par l’année culturelle 2007, puis par l’asbl Carré Rotondes, ensuite par plusieurs associations culturelles comme la Summerakademie, prêtait son cadre modeste au débat Vers des lieux de création, organisé par l’Œuvre nationale de secours Grande-Duchesse Charlotte ce mardi. Animée par Robert Garcia, ancien directeur de l’année culturelle 2007 et des Rotondes, en sa qualité de membre du fonds Start-Up de l’Œuvre, la soirée avait pour ambition de réunir artistes et politiques, afin de faciliter l’accès à des ateliers à prix abordables, respectivement d’en encourager la création. Car si de nombreux projets de jeunes artistes (ils doivent avoir moins de 36 ans au moment de la demande pour être éligibles) ont pu être soutenus avec des sommes conséquentes (1,8 million d’euros depuis son lancement, soit 350 000 euros par an plus ou moins) attribuées par le fonds Start-Up, le jury se voit de plus en plus souvent confronté à des demandes plus concrètes de la part des artistes : l’argent, c’est bien, mais où vais-je bien pouvoir répéter ma pièce, peindre mes tableaux ou réaliser mes sculptures ? Dans un pays où les prix du foncier ne cessent de grimper, impossible de trouver des locaux pas chers.
C’est d’ailleurs le sujet qui aura valu les plus belles prises de bec d’une soirée somme toute assez sage : ce ne furent pas les artistes et les politiques qui s’affrontèrent, mais les membres du gouvernement. Provocateur, Robert Garcia (Déi Gréng) rappela la promesse du programme de coalition de 2013 de tout mettre en œuvre pour créer de tels espaces de création et de réhabiliter la Halle des soufflantes à Esch. « Cette Halle n’est pas à nous, répondit sèchement le secrétaire d’État à la Culture, Guy Arendt (DP), elle appartient au ministère des Finances... » Implicitement : je ne peux rien faire. Ce à quoi François Bausch (Déi Gréng), ministre du Développement durable et des Infrastructures, réagit du tac-au-tac : « Je pourrais me dédouaner tout aussi facilement et dire que je ne peux rien faire », mais que lui avait choisi d’agir. Et que, à titre personnel, il considérait que la Halle méritait être sauvegardée et réservée à la créativité, mais avec une rénovation durable cette fois-ci.
Pour le reste, le débat rappela singulièrement celui sur le logement à la Chambre des députés jeudi dernier : la situation est catastrophique – les plasticiens notamment n’ont toujours pas de lieu à eux –, et les politiciens se disent de bonne volonté, mais impuissants, face à un marché de l’immobilier qui devient fou, comme ils ne possèdent que peu d’immeubles et de terrains. François Bausch considérant que les politiques peuvent toutefois tenter de convaincre les privés (notamment Arcelor-Mittal) de mettre à disposition des sites pour la création. Et Lydie Polfer (DP), la maire de la capitale, promit que l’ancien abattoir sera réservé au secteur créatif lorsque les services de la Ville déménageront, et que des espaces créatifs pourraient être inscrits au programme architectural du réaménagement du secteur autour du stade de football actuel. Les associations du Carré devront quitter les lieux d’ici l’automne de l’année prochaine (le propriétaire, Paul Wurth, lancera alors la grande reconversion du site). Et le Hariko à Bonnevoie devra déguerpir d’ici fin juin, sans qu’aucune solution de rechange sur le territoire de la capitale n’ait pu être trouvé jusqu’ici. josée hansen