Sur le mur d’en face, le visiteur qui entre dans la galerie peut lire, dans un bel agencement qui contredit pour ainsi dire le texte, un néon proclamant du Disorder. Contredit de même par les Containers, en céramique, en fait des flacons pour pilules, gélules, alignés sur une boîte qui leur sert d’étagère. Il faut y regarder de près, pour se rendre compte que les noms des médicaments sont remplacés par des mots qui, assemblés, forment une phrase. En l’occurrence: They each swallowed a Temazepan with a last drop of whisky and fell asleep. Ce qui fait bougrement changer les choses, surconsommation, addiction, ça commence pour de vrai à faire désordre.
C’est à un véritable va-et-vient que Jeanne Susplugas invite de la sorte dans son exposition à la Wild Project Gallery. Où il ne faut donc jamais se fier aux apparences. Il est vrai qu’on aurait dû être avertis déjà par l’image qui annonce l’exposition, ou lui sert d’avant-propos : le C-print d’un masque, et nous apprenons que la photographie entend rappeler que la vie n’est qu’un théâtre, et c’est exactement sur cette scène que ça va d’un côté à l’autre, de l’ordre au désordre, que se succèdent heurs et malheurs domestiques.
Deux mains, nouvelle ambiguïté, sont là, en train de mettre ou d’enlever le masque, allez savoir. J’avance masqué, disait Descartes, à l’époque de crainte de toute sorte de censure, et ça pouvait coûter la vie. Jeanne Susplugas, toujours en référence au théâtre, vise les rôles que l’on peut s’efforcer de jouer, dans la vie sociale, jusque dans la vie intime. D’où cette intrusion de la salle de bains, et dans une autre céramique, l’examen et la trouvaille dans des corbeilles de fruits d’autres médicaments. Céramiques qui dans leur pure blancheur ont ensemble quelque chose de décoratif et de fantomatique.
Une nouvelle fois, il faut y regarder de près. Tel arbre généalogique a l’air parfaitement anodin. Mais voilà que les branches associent anorexie et xénophobie, addiction au sexe et nanophobie, et je m’arrête là. Il est une tendance chez Jeanne Susplugas au fantastique. À moins qu’on ne réduise à la maladie l’obsession par exemple de tels personnages des vidéos, de leur corps, l’un d’entre eux s’arrachant carrément la peau, la chair, dans ce qu’elle dit, pour balancer au fur et à mesure les lambeaux par la fenêtre.
Ce qui retient dans l’exposition, d’un bout à l’autre, d’un médium à l’autre, dessin, photographie, vidéo, céramique, installation, c’est justement l’écart, la distance, entre une apparence sage, soignée, et un tourment, et plus, une anxiété qui torture, cachée derrière, ne demandant toutefois qu’à poindre.
On le dit normalement de la lumière, du jour qui point à l’horizon. Telle photographie, en C-print toujours, est de grande taille, s’intitule Corridor, et c’est au bout seulement que les choses s’éclairent. Et qu’on devine qu’il s’agit en fait d’une boîte. Retour à l’idée d’enfermement, de dépendance sans doute, avec quand même une lueur d’espoir.