Bastion ! six femmes exposent à Dudelange

Fleurs du mal

d'Lëtzebuerger Land vom 19.02.2016

Entre son exposition personnelle actuellement à la galerie Nosbaum Reding (voir d’Land du 29 janvier, encore à voir jusqu’au 5 mars au Fëschmaart) et la confrontation Damien Deroubaix, Picasso et moi qui ouvrira ce soir, vendredi 19 février au Mudam, voici le peintre maître de cérémonie d’une exposition collective à Dudelange.

Damien Deroubaix (né dans le Nord en 1972, il a passé plusieurs années à Berlin avant de s’installer à Meisenthal), est assurément un des grands peintres actuels. On ne se plaindra donc pas de sa présence pléthorique en ce moment à Luxembourg, ni de cet « adoubement » qu’il donne à six jeunes artistes femmes à travers l’exposition visible actuellement à Dudelange.

Y participent, dans les deux galeries de la ville, Dominique Lang et Nei Liicht, les cinq membres en résidence en 2014 du Bastion, une ancienne caserne transformée en résidence d’artistes par la Ville de Strasbourg – Aurélie de Heinzelin, Célie Falières, Camille Fischer, Caroline Gamon et Gretel Weyer, ayant fait leur cursus à l’École des arts décoratifs de Strasbourg – ainsi que Giulia Andréani, en résidence à Meisenthal, là où donc Damien Deroubaix vit et travaille.

Les connaisseurs de l’œuvre de Deroubaix ne seront pas étonnés de trouver une certaine filiation : on y verra de la peinture, bien sûr mais pas seulement, entre baroque et expressionisme allemand, ceci pour résumer. Soit des œuvres de chair et de sang, qui passent la société au rayon laser et qui s’ancrent aussi bien dans les traditions populaires et ne craignent pas le trivial.

Bien sûr, il faudra visiter un lieu après l’autre, même si les œuvres des artistes sont réparties sur les deux sites d’exposition. C’est à la galerie Dominique Lang, à la gare Dudelange Ville, que l’on verra la grande toile qui symboliquement et si justement, parle de la Grèce et de sa position européenne actuellement fragilisée : dans un concours de Miss, la candidate hellène s’est écroulée au pied des autres filles. La toile est dans les tons grisés, tout comme les portraits de jeunes gens que l’on pourrait croire lambda – à l’époque, ils l’étaient.

Sauf qu’il s’agit des dictateurs du XXe siècle Staline, Mao, Mussolini e.a. Giulia Andréani, l’auteure de ces toiles politiques, est également présente à la galerie Nei Liicht avec une approche au scalpel de la fameuse Family of Man d’Edward Steichen : l’exposition itinérante, signifiait en effet – aussi, au-delà de sa volonté humaniste – le début de l’impérialisme américain qui allait dès lors infiltrer jusqu’aux codes familiaux européens, partant de la reconstruction du Vieux Continent dans les années de l’après-Seconde guerre mondiale.

Plus oniriques sont les œuvres de Greta Weyer, Jambe jambon ainsi que Un jour son prince et Ton tour est terminé. Ces sculptures (en plâtre et céramique émaillée) dérangent : le sabot du jambon, à manger par l’Ogre, est un pied de petite fille, les Princes charmants crapaud s’agglutinent dans un saut de ménage et l’âne de Carnaval gît, ventre ouvert, avec les bonbons de la fête répandus au sol… Les contes pour enfants ont un fond de cruauté, on l’oublie parfois.

Aurélie de Heinzelin, elle, de par son moyen d’expression, la peinture, est littéralement la plus proche de Deroubaix. Son choix d’expression est porté exclusivement sur la représentation du couple, que l’on verra ici à la manière de l’expressionisme allemande. Grinçant à souhait. Quant à Camille Fischer, voici une nouvelle forme d’art total : cela va du papier peint au costume, en passant par le masque et l’installation. On retrouve partout, dans cette seconde peau, le soleil noir de la mélancolie.

Difficile donc de ne voir les expositions de Dudelange que du seul point de vue de l’esthétique. À moins que l’on admette que celle-ci fait partie des armes des artistes, jouant de l’humour, de l’ironie et de nos peurs mêlées.

Bastion ! – Giulia Andréani, Camille Fischer, Célie Falières, Caroline Gamon, Aurélie de Heinzelin et Gretel Weyer – curaté par Damien Deroubaix, est à voir jusqu’au 25 février à la galerie Nei Liicht et à la galerie Dominique Lang à Dudelange ; ouvertes du mardi au dimanche de 15 à 19 heures ; www.centredart-dudelange.lu
Marianne Brausch
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