S’il existe bien des artistes qui expérimentent inlassablement avec différents styles et techniques, il y en a d’autres dont la facture est immédiatement reconnaissable. L’artiste belge Jean-Luc Moerman fait partie de ce deuxième groupe et s’acharne à former une œuvre très cohérente, et ce depuis vingt ans. Actuellement, la Galerie Nosbaum Reding lui consacre sa sixième exposition personnelle au Luxembourg.
Moerman (né en 1967) débute sa carrière artistique en tapissant les rues et les murs de villes comme Bruxelles ou New York avec des autocollants qu’il a conçus lui-même. À l’instar des plantes épiphytes, l’artiste greffe ensuite des dessins caractérisés par des lignes noires sur des supports aussi divers que des sacs à main, des montres, des bâtiments ou des voitures. Parmi ses supports de prédilection figurent également des photographies en noir-et-blanc de top-modèles, de stars ou de politiciens, ainsi que des reproductions d’anciennes peintures de nus féminins. Les lignes noires entrelacées, ressemblant à un tatouage organique, sont aujourd’hui sa marque.
La galerie Nosbaum Reding propose une sélection d’œuvres datant de 2011 à aujourd’hui, incluant des peintures abstraites sur aluminium, deux reproductions de peintures d’Ingres (La baigneuse, dite Baigneuse Valpinçon, 1808) et de Rembrandt (Bethsabée au bain tenant la lettre de David, 1654), des skateboards ayant comme motif des corps féminins nus ainsi que des photographies en noir-et-blanc de top-modèles et de voitures de sport. Moerman applique ses lignes évolutives avec du feutre ou de l’acrylique sur les différents supports. Les quatre photographies de voitures « tatouées » sont réalisées, quant à elles, grâce à l’ordinateur et au dessin à la tablette graphique. Pour certaines de ses œuvres, comme celle acquise par le Mudam en 2002, ou pour ses énormes peintures murales, l’artiste se sert également d’un ordinateur afin d’engendrer des compositions plus complexes ayant un aspect tridimensionnel.
Alors que les lignes dessinées sont presque toujours noires, l’arrière-fond des peintures abstraites s’en distingue par des couleurs plutôt éclatantes. Les lignes et formes sont en l’occurrence appliquées en plusieurs couches et semblent se mouvoir lentement à travers l’espace pictural. Les différents niveaux de la peinture tout comme leur format des peintures – parfois les tableaux de Moerman sont composés de quatre grands panneaux – confèrent à la surface une certaine profondeur, qui contraste avec le réseau de lignes, ou le tatouage, appliqué à la surface des corps nus ou des voitures.
Pour Jean-Luc Moerman, le tatouage est étroitement lié à la peau, mais aussi à la chaire. Il fonctionne comme une blessure et avant tout comme une sorte de langage international. Les lignes rappellent en effet les formes d’os, de fibres musculaires ou de tendons, c’est-à-dire la structure commune à tout individu, peu importe son origine géographique. Moerman remonte ainsi à la surface ce qui se trouve sous la peau humaine, tout en désacralisant les icônes et idoles. En se servant d’images de corps féminins nus et de voitures de sport, l’artiste détourne deux symboles de luxe établis par la publicité et les média. Tout comme certains peintres, à l’instar d’Ingres, ont cherché à représenter un corps idéalisé, les corps sont aujourd’hui remodelés et perfectionnés par des logiciels de retouche d’images numériques. En recouvrant ces images de lignes noires, l’artiste souhaite ramener les corps à la réalité.
Les œuvres de Jean-Luc Moerman contiennent ainsi toujours une critique de la société de consommation. Mais font elles perdre pour autant à l’image originelle son côté sensuel et sa volupté profonde ? Si les tatouages cachent les détails de la peau et la traduction délicate des couleurs d’un Ingres ou d’un Rembrandt, notre cerveau conditionné sera pourtant capable de les déceler sous les traits noirs. Moerman travaille en parallèle à plusieurs œuvres et met une semaine, voire un mois, pour finaliser les grands formats. En jetant un coup d’œil sur les dates des œuvres présentées à la galerie, on s’étonnera cependant de noter qu’un nombre assez important des travaux (quatorze sur 19) ont été accomplis ou achevés en 2015. L’art de recouvrir le monde avec des lignes noires et des tatouages apparaît dès lors comme véritable frénésie créatrice, ou comme production de masse.