Les pas ramènent avenue Gaston-Diderich, le nom n’est plus le même, il est dorénavant celui d’une galerie berlinoise, Krome Gallery, mais saluons d’emblée, comme il se doit, ce réveil, ce renouveau. Dans des circonstances par ailleurs difficiles, tellement le quartier rend quasiment impossible tout déplacement, un gros chantier, si encore il existait le moindre espoir de voir la terre fouillée jusqu’aux entrailles révéler quelque trésor. Allons, travaux obligent.
À l’intérieur de la galerie, c’est un peu comme dans les magasins de souvenirs dans les lieux touristiques : une forêt de supports pour cartes postales, ces machins qu’on peut tourner à sa guise pour faire son choix. Seulement, très vite, le visiteur se rend compte qu’il se trouve plutôt dans une sorte de musée d’ethnologie, avec tous ces portraits de femmes qu’il arrive, à y regarder de près, à situer dans le temps comme dans l’espace. Pour ce dernier, pas de limites, tous les continents y passent, et conséquemment tous les types féminins, tous les costumes, toutes les attitudes. Pour le temps, on est en gros dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
De la sorte, l’artiste néerlandaise Mathilde ter Heijne invite en premier à un tour documentaire, une leçon d’étude comparative. Où il est bien sûr déjà question de l’identité de la femme, et suivant la façon dont elle se présente (ou est présentée, figurée), de la place et du rôle qui lui sont attribués (ou reconnus) dans la vie sociale. Ainsi, caractères sociaux et culturels, voilà ce qui est à découvrir, à déchiffrer de suite.
Mathilde ter Heijne va plus loin. Et vous n’avez qu’à retourner les cartes postales, les photographies. Au dos des portraits, eux anonymes, des biographies, mais ça ne colle pas du tout. Des déficits sont venus se rejoindre, on ne peut pas dire se compenser. C’est de les dénoncer qu’il s’agit. Les femmes du recto sont donc toutes restées anonymes, alors que pour les biographies du verso, pas d’images. Et Mathilde ter Heijne (ou le hasard) de jouer à de belles rencontres, de belles oppositions, comme d’une Birmane tenant un gros cigare avec une « rebel woman » russo-américaine.
Leçon d’anthropologie, de sociologie, et le combat pour la reconnaissance de la femme se poursuit dans les portraits accrochés aux murs de la galerie, toujours des « unknown women », fixées sur pellicule autour de 1900, reproduites ici dans une tonalité barytée. Les grands portraits sont certainement à vendre, les cartes postales, elles, peuvent être emportées sans bourse délier.
L’exposition est donnée comme en dialogue avec Marina Abramovic, et l’on n’a pas de peine à reconnaître ce qui rapproche les deux artistes. Toutefois, il y a aussi ce qui les éloigne, la Serbe paie de sa personne, va le plus loin possible dans cet engagement ; dans le cas de Mathilde ter Heijne, on n’est guère touché, remué pas du tout, par les heurts de l’artiste contre un mur de briques dans la vidéo intitulée The Invisible Hero, ça reste de l’artifice, et la référence à Pavlov ne rend les choses guère plus convaincantes. Plus prenante, une autre vidéo, No Depression in Heaven ; avec toujours la dénonciation des images, stéréotypées, des clichés, concernant la femme, en plus de l’opposition riche/pauvre, et de l’atmosphère qui cette fois-ci prend justement.
Et à elle seule, une troisième vidéo, sur la tradition des lamentations, plus exactement des pleureuses (mais elles ne font pas que pleurer) dans le peuple carélien, vaut la visite de l’exposition. Pour, là encore, sa valeur documentaire, mais comme on a à faire à une artiste contemporaine, on appréciera d’autant plus la facture de la vidéo, son agencement ou montage, son déroulement. Au-delà de l’exercice même des pleureuses, comme il est évoqué dans le très beau livre, sur la ville de Lvov (Lemberg), de Jurij Wynnytschuk, « Im Schatten der Mohnblüte : Auch unsere Babusja hatte ihr Geschäft… Sie bot künstlerisch wertvolles Gejammer an. So wie unsere Babusja konnte es keine, es war zum Steinerweichen. Selbst diejenigen, die keinesfalls heulen wollten, begannen zu schniefen, zu flennen und rauften sich die Haare... »