Depuis plus de quinze ans, David Altmejd crée un œuvre homogène, en combinant des éléments organiques et des structures minimalistes ou géométriques. Des êtres polymorphes, des hommes à tête d’oiseau, des insectes et des géants en résine et aux cheveux synthétiques se rencontrent dans un univers fantasmagorique, réalisé à partir de plexiglas, de bois et de miroir. Le Musée d’art moderne de la ville de Paris lui consacre l’une des expositions les plus captivantes à admirer en ce moment dans la capitale française. La rétrospective se distingue par son esthétique conjurant à la fois le grotesque et le sublime. Organisée en collaboration avec le Mudam et le Musée d’art contemporain de Montréal, elle sera à voir au Luxembourg à partir du 7 mars 2015.
La rétrospective à Paris montre certaines des grandes séries de David Altmejd (né à Montréal en 1974) et met en exergue les différentes formes de son œuvre : les installations spacieuses et complexes, les têtes polymorphes, les géants, les Bodybuilders ou encore les Watchers. Ces deux dernières séries se composent de figures humaines en plâtre ayant l’aspect déformé. À certains endroits des corps blancs, l’artiste a ajouté plusieurs mains en plâtre. À d’autres endroits, seuls des sillons griffés par les mains de l’artiste restent visibles. Le plâtre blanc renvoie aux sculptures classiques, alors que les mains et leurs traces confèrent aux figures un aspect inachevé.
Altmejd puise son inspiration dans les sciences naturelles, dans les mythes, notamment celui du loup-garou, et dans l’univers cinématographique fantastique de Jim Henson, de John Hough et de David Cronenberg. Devenues en quelque sorte une image de marque de l’artiste, les têtes (Untitled) font allusion au processus de métamorphose de l’humain vers le loup-garou et symbolisent un arrêt dans le temps. Tout comme les figures sculptées, les têtes en résine ou en plâtre ont une apparence estropiée et semblent en décomposition. Certaines ont ainsi deux nez, d’autres sont parsemées de poils et de cristaux, renvoyant à l’énergie et à la croissance. En tant qu’être humain qui se transforme en créature animalière pendant les nuits de pleine lune, le loup-garou est pourvu d’une double identité. Cet aspect ambivalent est souligné par la présence du miroir, associé parfois aux têtes, aux géants et incorporé surtout dans les grandes installations. Altmejd s’en sert aussi pour recouvrir des murs entiers dans les salles d’exposition. La surface est souvent cassée et reflète non seulement les créatures biomorphes, mais aussi le spectateur, l’intégrant ainsi dans l’œuvre elle-même.
Le miroir crée d’ailleurs une impression d’infini et témoigne de l’intérêt d’Altmejd pour l’inachevé et le macrocosme. Dans son œuvre, l’artiste analyse l’interrelation de l’être humain avec l’ampleur et plus précisément l’architecture. C’est surtout dans sa série des géants, d’une hauteur de 3,5 à six mètres, que la transformation du corps en une architecture vivante ou en un paysage devient le plus visible. The Giant, montré également à la Biennale de Venise en 2007, ressemble avec ses poils et les écureuils naturalisés assis sur lui davantage à une force ou une forme naturelle qu’à un être humain. Il en est de même pour The Pit et The Island, deux géants garnis de noix de coco. Alors que le géant dénommé The Island a une main amputée, le corps de The Pit est parsemé de petites mains, à l’instar des Bodybuilders. Les sculptures deviennent chez Altmejd des organismes vivants. Avec ses figures et ses géants, l’artiste élargit la définition classique de la sculpture en faisant évoluer ses « êtres », les transformant en un ensemble se rapprochant d’une installation.
Les éléments que David Altmejd utilise pour fabriquer les géants et les têtes reviennent dans les installations aux structures géométriques, agencées sur plusieurs étages et en différentes strates. Dans les espaces ainsi créés, l’artiste pose des figures mi-humaines mi-animales, des plantes et des animaux. L’une de ces boîtes en plexiglas fut montrée en 2011/12 au Mudam dans le cadre de l’exposition Mondes inventés, mondes habités. Avant que la rétrospective Flux d’Altmejd n’arrive au Mudam début mars, certaines de ses œuvres sont installées dès décembre dans le grand hall du musée.
Les différents éléments et composantes assemblés dans ces « laboratoires » sont reliés les uns aux autres par un réseau de fils de soie de différentes couleurs. Dans The Swarm (2011) par exemple, des abeilles, avec des ailes en plexiglas et un corps en chaîne d’or, semblent flotter dans un tel environnement en plexiglas. Une tête humaine, dont les yeux et le nez sont transpercés par des aiguilles, fait allusion aux piques d’abeille. À l’instar des lignes de dessin, les fils de soie et les aiguilles traversent l’ensemble et lui confèrent une structure. Ces œuvres filigranes culminent dans l’installation en plexiglas géante The Flux and the Puddle (2014), qui mesure environ six mètres sur sept mètres. Ce qui ressemble de prime abord à un chaos visuel, voire à une saturation de l’œil, se déchiffre au fur et à mesure que l’on évolue autour de l’installation. Des bras poilus, des têtes, des figures chimériques, des fausses fourmilles, des noix de coco et des fruits en plâtre sont répartis de part et d’autre. Certains éléments sont répétés ; de légers changements et différences suggèrent un mouvement à l’intérieur de l’ensemble. Tout comme les têtes, cette évolution ou transformation renvoie à l’écosystème, à la naissance et à la mort, mais aussi à la renaissance.
Dans l’œuvre d’Altmejd, les matériaux incolores ou unicolores, comme le plâtre, le métal ou le plexiglas, entrent en dialogue avec des éléments organiques et synthétiques multicolores. Grâce au miroir, l’artiste réussit à entraîner le spectateur dans son univers chimérique et à augmenter ainsi la tension entre réalité et fiction. Les constructions complexes et les combinaisons surprenantes peuvent autant fasciner que les êtres poilus et déformés peuvent révulser certains spectateurs. Si David Altmejd analyse des thèmes plutôt traditionnels comme la vie et la mort, il le fait à travers un style qui lui est propre tout en dépassant les limites de la sculpture.