Les connaissances que nous avons aujourd’hui sur la crise climatique proviennent de scientifiques qui évoluent dans des universités et instituts de recherche. Est-ce à dire que ces institutions sont elles-mêmes aux avant-postes de la lutte pour la décarbonation et adaptent leur propre fonctionnement à cette réalité ? C’est malheureusement loin d’être le cas. Un article publié ce mois-ci par des chercheurs de trois universités britanniques et une danoise, sous la direction de Thierry Aaron, intitulé « No research on a dead planet », met les pieds dans le plat. L’univers académique prêche volontiers l’urgence climatique, mais la plupart de ses acteurs vaquent à leurs affaires comme si de rien n’était. Cette « passivité » a pour effet d’amplifier les risques « d’impacts climatiques si sévères qu’ils menacent la pérennité de la société organisée, et donc des institutions d’enseignement supérieur elles-mêmes », rappellent-ils, avançant des mesures qui devraient selon eux permettre aux universités de surmonter ce gap béant qu’ils ont identifié entre théorie et pratique.
Selon ces chercheurs, « un déni socialement organisé » prévaut dans les universités et fait en sorte que les universitaires vivent dans une « double réalité ». Une situation qui enracine le statu quo et est aggravée par la tendance à soumettre les institutions d’enseignement supérieur à une logique néo-libérale et à les contraindre de plus en plus à aller chercher leurs financements dans le secteur privé.
Le constat est sévère, mais il est étayé, comme il se doit pour un papier écrit par des scientifiques, par de nombreuses études. Celles-ci portent sur l’absence de mesures prises pour réduire l’empreinte carbone des universités (quand bien même un grand nombre d’entre elles ont proclamé un état d’urgence climatique) ou de cours pour instruire les étudiants sur les menaces liées au changement climatique. Une autre examine « la normalisation d’une hyper-mobilité fondée sur l’aviation pour le travail académique », ce qui, un comble, semble être encore davantage le cas pour les climatologues que pour les autres universitaires. « Si ceux qui ont des informations privilégiées sur la crise continuent leur vie comme d’habitude (…), comment pouvons-nous nous attendre à ce que les autres agissent ? »
Comment sortir d’un modèle d’enseignement supérieur construit pour contribuer à la reproduction et au maintien d’une « économie extractiviste fondée sur la croissance » ? Les auteurs évoquent quelques pistes, dont celles de cours destinés à aider les universitaires à surmonter l’éco-anxiété et autres troubles psychologiques qui naissent de leur situation inconfortable. Mais comment rétablir une « intégrité académique pour l’Anthropocène » ? Il faut s’organiser « à l’intérieur et entre institutions » et, quitte à jouer au rabat-joie, « briser le silence » qui règne sur les campus à propos du climat, recommandent-ils. Pas de solution-miracle, mais du moins une voie est-elle tracée pour ces cordonniers mal chaussés.