La Californie a porté plainte la semaine dernière contre cinq majors pétrolières pour avoir délibérément menti au sujet des effets négatifs des émissions de CO2 résultant de la combustion de leurs produits. Si elle n’est pas le premier État américain à introduire une telle plainte, elle est le premier grand État producteur d’hydrocarbures à le faire. Cinquième économie mondiale, l’État, le plus peuplé des Etats-Unis, entend obtenir d’ExxonMobil, BP, Chevron, ConocoPhillips et Shell, ainsi que de leur lobby l’American Petroleum Institute (API), des indemnités à la hauteur des impacts catastrophiques dont ses habitants ont déjà eu à pâtir ces dernières années, notamment du fait d’incendies cauchemardesques et de sécheresses historiques. Sans se substituer à elles, la plainte s’appuie sur celles, similaires, déjà engagées par plusieurs villes et comtés de l’État, dont San Francisco et Oakland. Des initiatives comparables ont été lancées dans d’autres États et ont obtenu le feu vert de la Cour suprême pour aller de l’avant.
Il n’est pas exagéré d’affirmer qu’il s’agit vraisemblablement d’un moment‑charnière dans la lutte pour débarrasser le monde des énergies fossiles. L’effort mené par le procureur général de l’État, Rob Bonta, appuyé par le gouverneur Gavin Newsom, est en effet de nature à reconfigurer en profondeur le débat sur les responsabilités des grands groupes pétroliers dans la crise climatique. « Nous voulons voir cela se propager, nous voulons que de plus en plus de juridictions, les Nations Unies et d’autres pays avancent dans cette direction », a commenté Newsom.
Les pétroliers abordent cette offensive judiciaire en mauvaise posture. On sait depuis longtemps qu’ils étaient au courant dès les années 50 des risques énormes que leur activité faisait courir à l’humanité et ont sciemment choisi non seulement de les ignorer, mais d’agir de tout leur poids pour instiller le doute quant à leur réalité et bloquer toutes lois qui auraient pu menacer leur profitabilité. Le Wall Street Journal a dévoilé la semaine dernière des extraits d’emails internes d’Exxon qui jettent une lumière crue sur les menées machiavéliques de Rex Tillerson, son CEO de 2006 à 2016, et sa garde rapprochée pour perpétuer son modèle d’affaires fondé sur l’extraction de pétrole et de gaz. Ces extraits montrent que l’objectif était bel et bien de « tout faire en notre pouvoir pour continuer de gagner de l’argent avec le business du pétrole », a reconnu un ancien consultant d’Exxon.
Un communiqué de l’API révèle le malaise des pétroliers face à l’avalanche de procès qui les attend et leur espoir de ne pas avoir à y débattre du fond : « C’est au Congrès de débattre et de décider la politique climatique, pas aux tribunaux », y déclare son conseil Ryan Meyers. On le comprend : les milliards dépensés au fil des ans par les membres de l’API pour aider républicains et démocrates à se faire élire y ont en effet créé un environnement législatif qui leur est extrêmement favorable.