Avec plus de soixante musées, une dizaine de quotidiens, d’hebdomadaires, de cinémas et de théâtres, le Luxem[-]bourg dispose d’une offre médiatique et culturelle variée. Pourtant, une analyse et critique de ces médias fait quasiment défaut. Quelques réflexions et propositions autour du sujet…
Petit rappel. Trois groupes dominent largement le paysage médiatique au Luxembourg : Saint-Paul, appartenant majoritairement à l’archevêché de Luxem[-]bourg ; Radio Télé Luxem[-]bourg, appartenant au groupe Ber[-]tels[-]mann ; Editpress, appartenant majoritairement à des syndicats (OGBL/FNCTT-FEL). Selon certains, entre Saint-Paul et Editpress la « concurrence (…) est au moins aussi forte au niveau idéologique qu’au niveau commercial ».
En général, les liens entre les quotidiens et les partis politiques et syndicats sont remarquablement prononcés :1 que ce soit pour le Luxemburger Wort (CSV, LCGB), le Tageblatt (LSAP, OGBL), le Lëtzebuerger Journal (DP), la Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek (parti communiste), etc. Pour les hebdomadaires et les mensuels, les liens sont en général moins forts et plutôt historiques : d’Lëtzebuerger Land (Fédé[-]ration des industriels, Chambre de Commerce, Arbed), Woxx (déi Gréng), Forum (Jugendpor Lëtzebuerg), ...
Vient, ensuite, le rôle de l’État luxembourgeois qui subventionne la presse par un système d’aide à la presse introduit en 1976. Le but affiché de cette aide est de « promouvoir la diversité de la presse d‘opinion luxembourgeoise » et elle se compose d’une part fixe et – élément plus controversé – d’une « part proportionnelle au nombre de pages rédactionnelles ». Les années passées, cette aide s’élevait à presque 7,5 millions d’euros : en général entre un et 1,5 million d’euros par an pour les quotidiens et entre environ 200 000 et 300 000 euros par an pour les hebdomadaires.
À ces aides directes s’ajoutent des aides indirectes comme des tarifs de factage et de TVA restreints et des tarifs élevés pour les communications officielles. Le fait que de nombreux journaux auraient du mal à subsister sans ses aides et la question des effets de cette dépendance de l’État sur les pratiques journalistiques – et si elle constitue une faiblesse – est généralement peu discutée.
Avec des taux de pénétration qui stagnent ou baissent, avec des ventes qui chutent carrément depuis quelques années, pour les journaux le risque est de voir leur recette publicitaire diminuer à long terme. La réalité économique des médias luxembourgeois est un thème d’actualité qui est doublement problématique – du fait de son opacité (les médias se gardent normalement d’afficher cette réalité) et du fait de sa fragilité (dépendance de l’État, ancrage dans une petite économie, concurrence).
Une autre piste pour pousser les analyses des médias serait de se concentrer sur les modèles de communication articulés. On pourrait, par exemple, distinguer trois modèles de communication : le modèle linéaire, le modèle d’« accompagnateur » et le modèle de médiation. Le premier modèle, le plus classique, est celui de flux unidirectionnels : un message est passé d’un émetteur, en passant par un intermédiaire, vers un récepteur. C’est un modèle qui voit le public comme un élément passif, receveur de messages, mais sans emprise et sans retour vers le média lui-même.
Deuxièmement, on peut voir le rôle des médias comme une sorte d’« accompagnateur » ou de « participant » aux débats culturels, politiques et sociétaux. Pour certains événements culturels, les médias deviennent parfois des « partenaires ». Ce qui peut engendrer une tension potentielle : les institutions culturelles voient souvent la presse comme leur « partenaire » tandis que les journalistes ne se définissent généralement pas en tant que tels.
Un troisième modèle de communication est le modèle de médiation, donc d’un « dialogue », d’une rencontre, entre différents acteurs. C’est dans les musées que le terme de « médiateur » commence à être utilisé de plus en plus. Dans un musée, l’idéal est de rompre avec le modèle classique – linéaire et à sens unique – par ce modèle de médiation.
La presse contient relativement peu d’articles analytiques et le journalisme d’investigation est une chose rare au Luxembourg. De nombreux rédacteurs en chef de la presse déplorent que la pratique du « copy-paste » (du copié-collé) est malheureusement très répandue au Luxembourg. Selon une étude, la relecture de textes et des formations pour journalistes ne sont pas des pratiques courantes. D’autre part, le journalisme au Luxembourg est critiqué pour être « superficiel et mal informé » et pour traiter du domaine politique d’une façon « trop à la légère » et « presque familière ».
La critique des médias est quasi inexistante au Luxembourg, sauf, par moments, dans l’hebdomadaire satirique Den Neie Feierkrop. Certains voient dans le manque d’une culture de critique des médias le déficit principal du paysage médiatique du Luxembourg.2 Pourtant, la critique des médias n’est pas chose facile. Tout d’abord, il n’y a que peu de travaux qui discutent de façon analytique et synthétique des médias. Dans le catalogue de la Bibliothèque natio[-]nale du Luxem[-]bourg, par exemple, on ne trouve qu’une poignée de textes. Des travaux académiques et synthétiques sur les médias seraient donc les bienvenus. Un autre problème est que les textes dont on dispose proviennent majoritairement de gens qui travaillent dans les médias. Or, des études montrent, par exemple, que les journalistes sont biaisés : ils/elles considèrent que leurs médias et leurs choix de carrière sont significativement meilleurs que ceux de leurs concurrents.
Des futurs analyses pourront aussi, espérons-le, passer au-delà des explications usuelles quant au paysage médiatique luxembourgeois : qu’il n’y a qu’un petit marché, que l’offre se décline en plusieurs langues, que les distances entre politique/culture/société et médias sont courtes, etc. De telles remarques « stérilisent » les discussions sur les médias. Pourquoi ne pas, au contraire, prendre l’idée qu’au Luxembourg les chemins entre politique/culture/société et médias sont courts et qu’apparemment « tout le monde se connaît » comme chose à expliquer et à questionner et à poser comme hypothèse avant toute analyse (et donc pas comme explication et conclusion) ? Ainsi, la petite taille, le manque de moyens et d’effectifs ne seraient plus des arguments pour « excuser » le fait que les débats soitent souvent peu critiques, mais, au contraire, l’objet même qu’on pourrait critiquer, débattre et questionner.
On se doit donc de poser bon nombre de questions. La dominance de certains médias est-elle une bonne chose pour la démocratie et la qualité des débats au Luxembourg ? Sans aide à la presse, les journaux au Luxembourg seraient-ils économiquement viables ? Pourquoi les médias sont-ils peu transparents en ce qui concerne leurs situations financières ? Par rapport à quoi doit-on juger la qualité des médias et du journalisme au Luxembourg ? La grande diversité des médias débouche-t-elle sur une meilleure qualité ? Et le fait qu’une partie de l’aide à la presse se calcule par rapport à la quantité de pages écrites, est-ce un garant de qualité ?
Pourquoi les vraies critiques sur des événements culturels sont-elles si rares ? Pourquoi la pratique du copier-coller est-elle si répandue (et comment l’endiguer) ? Toutes ces questions mériteraient un approfondissement et le fait que l’on se les pose démontre surtout une chose : au Luxembourg, le débat critique sur les médias et l’analyse académique des médias n’en sont qu’à leurs débuts.3