Ce n’était qu’un vieux chant de Noël diffusé par la chaîne de télévision publique roumaine TVR 3 le 13 décembre. Mais qui a provoqué un choc au sein de la communauté juive de Roumanie lorsque la chorale a commencé à chanter « Brûlons les juifs ». « Je suis consterné par cet incident, affirme Aurel Vainer, président de la Fédération des communautés juives de Roumanie. Nous ne pouvons pas accepter que des formules antisémites aussi injurieuses soient transmises dans les médias publics. » L’Institut Elie Wiesel de recherche sur l’Holocauste, basé à Bucarest, a exprimé lui aussi sa « profonde désapprobation quant à ce message antisémite extrêmement grave et d’une grande vulgarité ». Les ambassades des États-Unis et d’Israël ainsi que le ministère roumain des Affaires étrangères ont condamné avec fermeté le programme diffusé par la télévision roumaine.
L’antisémistime semblait une affaire réglée en Roumanie, pays qui a intégré l’Union européenne (UE) en 2007, mais les démons du passé refont surface. L’antisémitisme roumain remonte à la fin des années 1930. Sous la pression de l’Union soviétique, la Roumanie avait perdu plusieurs territoires au début de la seconde guerre mondiale. C’est sur ce fond de catastrophe nationale que le maréchal Ion Antonescu prend le pouvoir en septembre 1940. Il se présente comme l’homme du moment, la poigne de fer que le pays attendait pour faire face à son anéantissement.
Dans les années 1930, le pays est secoué par une série de crises politiques et économiques. Les partis politiques se déchirent dans d’interminables luttes intestines, et la fragile démocratie roumaine cède peu à peu à la tentation de l’extrême droite. En septembre 1940, le maréchal Ion Antonescu fonde l’État national légionnaire et se tourne vers Hitler comme ultime solution pour faire face à l’Union soviétique. En juin 1941, en accord avec Hitler, il envoie l’armée roumaine libérer la Moldavie occupée par les Soviétiques. Puis il poursuit l’offensive contre l’Union soviétique aux côtés de l’armée nazie. Décision désastreuse qui entraînera la mort de 600 000 soldats roumains sur l’autel d’une cause perdue.
Dès 1940, le maréchal Antonescu dévoile ses opinions antisémites. Des pogroms ont lieu à Dorohoi et à Iasi, villes situées au nord-est de la Roumanie, et à Bucarest. Les 800 000 juifs qui vivaient en Roumanie sont désignés comme responsables des malheurs du pays. Les discours d’Antonescu se radicalisent. « Nous devons tous comprendre qu’il ne s’agit pas d’une lutte contre les Slaves, mais contre les juifs. C'est une lutte pour la vie et la mort. Nous allons vaincre et le monde sera purifié, sinon nous deviendrons leurs esclaves » (3 septembre 1941). « Je veux gagner cette guerre, mais il se peut que les démocraties la gagnent. Et nous savons que les démocraties signifient la judéocratie » (20 avril 1943).
Le 23 août 1944, le roi Michel de Roumanie fait arrêter Antonescu et le pays se retourne contre l’Allemagne nazie. Deux ans plus tard, sous la pression de l’Union soviétique, le maréchal est condamné et exécuté comme un criminel de guerre. Selon le rapport d’une commission internationale d’historiens dirigée par le Prix Nobel de la Paix, Elie Wiesel, la Roumanie est responsable de la mort de 280 000 juifs. Oublié pendant le régime communiste, le maréchal Ion Antonescu est devenu un héros national pour les mouvements nationalistes. L’antisémitisme se réveille à nouveau dans un pays où ne vivent plus qu’environ 10 000 juifs, les autres ayant émigré en Israël à l’époque communiste. « Les antisémites n’ont qu’à attendre, déclare Dorel Dorian, rédacteur en chef du mensuel La Réalité juive, dans peu de temps nous aurons tous disparu. Aujourd’hui, environ 65 pour cent d’entre nous ont plus de soixante ans ».
En décembre 2000, Corneliu Vadim Tudor, le leader extrémiste et chef du parti de la Grande Roumanie, a obtenu un tiers des suffrages à l’élection présidentielle. « Je ne conteste pas l’Holocauste, mais je ne pense pas que la douleur doive être exploitée comme un commerce, estimait-il à l’époque. En Roumanie, on exagère les chiffres pour demander un maximum de compensations financières. Les juifs nous demandent de démolir les statues d’Antonescu comme les talibans l’ont fait avec celles de Bouddha. Moi, je dis que ceux qui vont démolir nos statues seront eux-mêmes démolis. »
Mais les statues du maréchal ont été déboulonnées au début des années 2000 lorsque la Roumanie a entamé les négociations d’adhésion à l’UE, et les démons du passé semblaient enterrés. Mais ils refont surface aujourd’hui dans un pays touché par la crise économique et financière. Le gouvernement roumain, contrôlé principalement par le Parti social-démocrate, héritier de l’ancien Parti communiste, est loin d’être à la hauteur du défi. Malgré les protestations internationales, le premier ministre Victor Ponta a nommé en décembre 2012 dans un poste clé du gouvernement, Dan Sova, un jeune ministre qui avait essayé de minimiser l’Holocauste en Roumanie.
Le Premier ministre roumain a récidivé début décembre en proposant comme juge à la Cour constitutionnelle Lucian Bolcas, ancien vice-président du parti extrémiste de la Grande Roumanie. « Ce monsieur se situe à la marge des valeurs démocratiques en délivrant des messages positifs sur les criminels de guerre », a déclaré Alexandru Florian, président de l’Institut Elie Wiesel. « Lucian Bolcas partage les idées racistes et antisémites de son mentor, le président du parti de la Grande Roumanie », a déploré dans un communiqué le Centre pour la lutte contre l’antisémitisme, en demandant au Premier ministre de reconsidérer son choix. « Je maintiens ma proposition de nommer Monsieur Bolcas juge à la Cour constitutionnelle », a affirmé le chef du gouvernement roumain. Après avoir fait des efforts sous la pression de l’UE pour se débarrasser de son passé antisémite, la Roumanie semble replonger dans les ténèbres de son histoire.