Ils ont conquis l’Afrique, ils visent maintenant l’Europe de l’Est. Les Chinois investissent des milliards d’euros et de dollars dans les zones riches en ressources ou dans les pays en voie de développement. Ce n’est pas un mauvais calcul dans l’optique d’un avenir de plus en plus incertain. Du 25 au 28 novembre, le premier ministre chinois Li Keqiang, accompagné de quelque 200 représentants des grandes entreprises chinoises, s’est rendu à Bucarest pour participer au sommet Chine-Europe centrale et orientale.
Le déplacement en valait la chandelle : seize chefs de gouvernement des pays d’Europe de l’Est, y compris des Balkans, et des pays baltes, s’y sont rendus avec l’espoir de signer un maximum de contrats. « Les économies développées continuent de se développer alors que les économies émergeantes subissent des pressions, a lancé Li Keqiang dans son discours devant les deux chambres réunies du Parlement roumain. Mais la coopération sino-roumaine va promouvoir les économies d’Europe centrale et orientale. La Roumanie s’ouvre à l’Est, la Chine avance vers l’Ouest, nous avons des intérêts communs. »
Ce troisième sommet Chine-Europe de l’Est organisé à Bucarest – après ceux qui ont eu lieu en 2011 à Budapest, en Hongrie, et en 2012 à Varsovie, en Pologne – marque le début d’une offensive chinoise dans l’ancien bloc communiste de l’Europe. Mais Pékin vise bien au-delà de cette partie plus pauvre de l’Europe. La cible de l’opération étant les marchés de l’Union européenne (UE) auxquels les entreprises chinoises pourront accéder plus facilement en s’implantant en Europe de l’Est. Dans une note rendue publique avant le sommet de Bucarest, la Commission européenne avait demandé aux 28 pays membres de l’UE de ne pas signer avec la Chine des accords bilatéraux qui transgressent les limites définies par Bruxelles.
L’UE est en train de négocier avec la Chine un accord concernant des investissements censés rééquilibrer leurs rapports économiques. « La Chine devrait faire une plus large place à la libéralisation de son commerce et à l’ouverture de son marché afin de garantir des conditions de concurrence plus équitables, lit-on dans une résolution du Parlement européen datant du 9 octobre. La Chine devrait accélérer le démantèlement des obstacles artificiels auxquels se heurtent les entreprises qui souhaitent accéder au marché chinois. » Derrière la formule diplomatique, le législatif européen exprime son irritation face à un pays qui veut le beurre et l’argent du beurre.
Toutefois la Chine entend bien profiter des faiblesses de l’UE pour avancer ses pions économiques à l’Est. Le sommet organisé à Bucarest semble être une opération « Divide et impera » appliquée par la Chine à une Europe affaiblie par la crise économique et financière. Si, au début des années 2000, les pays d’Europe centrale et orientale se sont jetés corps et âme dans le processus d’intégration à l’UE, aujourd’hui la donne est différente. Malgré ses systèmes démocratiques et son économie de marché qui ont servi de modèle aux pays sortis de l’ancien bloc communiste, l’Europe de l’Ouest a perdu de son éclat. L’absence d’une politique commune sur les questions stratégiques, la faible capacité à gérer la crise financière et les pulsions xénophobes qui contaminent plusieurs pays occidentaux ont désenchanté les pays d’Europe centrale et orientale. Les jeunes de Bucarest, de Budapest, de Prague et de Varsovie considèrent qu’ils ont autant droit à la prospérité que les jeunes de Paris, de Londres ou de Genève. Mais dans les grandes capitales occidentales on conseille aux pays de l’Est de choisir la voie de l’austérité et des sacrifices.
Or la Chine propose le contraire. À Bucarest, le premier ministre Li Keqiang s’est engagé à investir, dans une première étape, plus de dix milliards d’euros dans les pays d’Europe centrale et orientale. La Roumanie, qui affiche cette année une croissance économique encourageante de 2,7 pour cent, compte attirer plus de la moitié de ce pactole venu de l’Est. « La Roumanie a besoin d’infrastructures modernes, et nous avons en Chine des technologies de grande qualité à bas prix, a déclaré Li Keqiang à Bucarest. Il vaut mieux choisir la formule ,fabriqué en Chine’ qui est connue sur toute la planète. »
Les Roumains n’ont pas hésité à mettre sur la table des négociations des projets qui concernent l’énergie nucléaire, l’informatique, l’agriculture et un train à grande vitesse (TGV) pour un montant total évalué à plusieurs dizaines de milliards d’euros. « Le budget de la Roumanie n’est pas suffisant pour réaliser ces projets, affirme la ministre des Transports Ramona Manescu. Par ailleurs, les fonds européens ne peuvent pas financer tous les projets d’infrastructure dont nous avons besoin. C’est notre devoir de trouver des sources de financement alternatives. »
La Chine a su saisir cette opportunité, et elle en profite pour promouvoir ses investissements en Europe de l’Ouest via l’Europe de l’Est. Un calcul économique doublé d’un calcul stratégique : accéder en toute tranquillité aux marchés de l’UE. « La coopération entre la Chine et l’Europe centrale et orientale sera le point de départ pour la coopération entre la Chine et l’UE, a déclaré Le Keqiang à Bucarest. Pour avancer nous avons besoin d’un grand vaisseau et d’un bon vent. Nous avons le vaisseau et le vent, il ne reste plus qu’à fendre les vagues. » Le Premier ministre chinois a le goût de la métaphore. Et le sens des affaires.