Dans la foule de manifestants rassemblés Place de la Victoire à Bucarest, le jeune Vitalie Prisacaru brandit son passeport roumain. Il est venu rejoindre les 10 000 manifestants qui demandent la réunification de la Moldavie avec la Roumanie. Vitalie, 21 ans, est d’origine moldave, mais depuis trois ans il fait ses études en Roumanie. « Les jeunes qui sont venus manifester veulent la réunification de la Moldavie et de la Roumanie, explique le jeune étudiant en sciences politiques. Ils veulent avoir des papiers d’identité roumains qui feront d’eux des citoyens européens. Je suis Moldave et j’ai déjà obtenu le passeport roumain grâce auquel je me sens européen. »
Selon l’Autorité nationale pour la citoyenneté, plus de 350 000 passeports roumains ont été délivrés aux Moldaves ayant obtenu la nationalité roumaine. L’opération a commencé en 2009 sous l’impulsion du président roumain Traian Basescu qui a toujours plaidé en faveur de l’intégration européenne de la Moldavie. En avril 2009, après la répression violente d’une manifestation anticommuniste menée par des jeunes Moldaves à Chisinau, une coalition pro-européenne avait pris les rênes du pays. La Roumanie voisine avait alors encouragé l’élan européen de sa petite sœur. « Ces jeunes voulaient liquider l’héritage de l’URSS, affirme le directeur de l’Institut des sciences politiques de Bucarest et ancien conseiller auprès de la présidence moldave Dan Dungaciu. Il n’existe pas de meilleure solution pour échapper à l’ancienne URSS que l’Union européenne. »
À l’origine territoire roumain, la Moldavie a été annexée par l’Union soviétique après la Deuxième Guerre mondiale. Devenu pays indépendant en 1991 après la chute de l’URSS, elle cherche depuis son identité. Sur les quatre millions de Moldaves, deux tiers sont roumanophones et un tiers russophone. L’idée d’une réunification avec la mère patrie, la Roumanie voisine, n’avait jamais figuré jusqu’alors sur l’agenda politique des autorités moldaves, mais l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne (UE) en 2007 a changé la donne. Devenue plus attrayante, la mère patrie a attiré les jeunes Moldaves comme un aimant. Des dizaines de milliers d’entre eux sont venus faire leurs études en Roumanie qui leur propose 5 000 bourses d’études par an. « Je me suis senti chez moi dès que j’ai mis les pieds en Roumanie, affirme Vitalie. On parle la même langue, et il y a quelque chose qui fait que je me sens comme à la maison. Pour moi, il n’y a pas deux pays, mais deux Etats qui formeront un jour un seul pays. »
Le 28 novembre, la Moldavie doit signer à Vilnius, la capitale lituanienne, un accord d’association avec l’UE. En 2009, à Prague, l’UE avait donné une forte impulsion à six anciens pays soviétiques – l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Biélorussie – en les engageant à entamer un partenariat oriental avec Bruxelles. Le défi de ce projet ambitieux était de créer une zone tampon face à Moscou qui entend garder à tout prix sa sphère d’influence. La perspective d’un partenariat avec l’UE était censée déboucher sur un accord de libre échange avec Bruxelles et à une relance économique de ces pays. Mais à ce jour seule la Moldavie a avancé sur la voie des réformes convenues avec les instances bruxelloises. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne a annoncé le vendredi 15 novembre qu’une proposition législative serait faite visant à supprimer l’obligation de visa pour les ressortissants moldaves. « C’est une très bonne nouvelle pour les citoyens moldaves et une avancée tangible vers une association politique avec l’UE », a déclaré le jour même le président de la Commission européenne José Manuel Barroso.
Mais le désir des Moldaves d’intégrer l’UE a accentué la frilosité de la Russie face à son ancien satellite. Pour les décourager, Moscou a interdit le 11 septembre l’importation de vins moldaves, une des principales richesses du pays, sur le marché russe. Deux semaines plus tard, le commissaire européen chargé de l’Agriculture, le Roumain Dacian Ciolos, militait pour l’ouverture du marché européen au vin moldave. « Une ouverture totale du marché de l’UE aux vins moldaves à un moment où les agriculteurs moldaves sont en difficulté montrerait, qu’au delà d’un projet d’intégration économique très réussie, l’UE est aussi un espace de solidarité », a-t-il déclaré le 25 septembre.
Cependant la Russie dispose encore de leviers pour faire pression sur ses anciens satellites qui se tournent vers l’UE, en particulier le gaz. À cet égard, la Roumanie a pris les devants en démarrant la construction d’un gazoduc qui reliera la ville roumaine de Iasi, située au nord-est du pays, et la ville moldave d’Ungheni. Un projet que la Commission européenne a financé à hauteur de sept millions d’euros. « Le projet qui va assurer le transport du gaz de Roumanie jusqu’à Chisinau est la première étape de l’intégration de la Moldavie dans l’UE », a affirmé José Manuel Barroso le 15 novembre. Encouragés par cette ouverture de Bruxelles, les jeunes Moldaves veulent augmenter la pression sur les autorités moldaves et roumaines en vue d’une future réunification au sein de l’UE. « Nous réussirons, assure Vitalie Prisacaru. Notre plateforme, « Action 2012 », réunit une trentaine d’associations moldaves et roumaines, et chez nous personne ne chôme. Nous sommes jeunes, nous avons du temps, et rien ne pourra nous arrêter. »