Avec la crise économique, un nombre croissant de citoyens européens ont des difficultés à accéder financièrement à des services d’intérêt général essentiels, tels que le logement, l’énergie, les communications, les moyens de transports, l’eau, les soins de santé et les services sociaux. Or l’accessibilité financière est une notion-clé des services publics européens qu’ils soient sociaux ou bien de nature plus économique, autrement dit quand ils sont délivrés par des opérateurs intervenant dans le secteur dit concurrentiel (on les nomme les services d’intérêt économique général : Sieg). Bien plus le protocole 26 sur les Sieg (annexé aux traités de Lisbonne, TUE et TFUE) a érigé cette exigence d’un niveau élevé quant au caractère abordable au niveau des valeurs communes de ces SIEG, imposant à l’Union européenne et aux États membres d’en tenir compte dans leurs politiques.
Comment dès lors répondre à la pression des usagers qui trouvent inabordables les tarifs de ces services publics ? Comment éviter la marginalisation encore plus accrue des personnes en difficulté ou souffrant d’un handicap ou l’exclusion de celles qui, du fait d’un éloignement géographique, ne peuvent obtenir le haut débit ou certains moyens de transport ou d’autres services qui ne sont pas offerts dans leur périmètre ? Autant de questions qui sont un défi pour l’UE, qui défend une économie sociale de marché et les États membres qui sont par ailleurs pressés par la Commission de contrôler leurs déficits, alors même qu’avec l’augmentation du chômage et dans certains pays la baisse des salaires, le volet recettes publiques (impôts et cotisations sociales) diminue.
Il semblerait que la Commission privilégie en la matière de plus en plus l’économique sur la solidarité. Pour preuve son approche du logement social. Elle a en 2011, par le biais du contrôle des aides d’État, remis en cause l’approche de mixité sociale adoptée par les Pays-Bas et a limité l’accès au logement social validé un plafond de revenu annuel à 33 000 euros. C’est en fait une remise en cause de la prérogative des États membres en matière de définition d’un service public et de ceux qui y ont accès. Et cela pénalise une partie de la population trop « riche » pour avoir accès à un logement social et trop « modeste » pour pouvoir s’acquitter d’un loyer dans le secteur locatif privé.
« C’est pourquoi la Commission doit revoir sa pratique décisionnelle en la matière et laisser les États membres définir les conditions d’accès à des prix abordables, » souligne Raymond Hencks, membre du comité exécutif de la Confédération générale de la fonction publique (CGFP) et du comité économique et social européen (groupe des employés). Il est rapporteur d’un avis d’initiative sur « le caractère ‘abordable’ des Sieg » et en a dévoilé les grandes lignes lors d’une audition le 25 octobre. Il réclame par ailleurs que soit précisé les notions de « personnes vulnérables » ou « groupes défavorisés » pour lesquels des tarifications spécifiques ou des accès privilégiés à ces services publics économiques seraient réservés, selon la Commission.
La notion de critère abordable précise son rapport est une notion évolutive et « qui dépend de la perception subjective qu’a l’usager de ce qu’elle coûte et de ce qu’elle rapporte au profit du bien-être du citoyen ». « Il faut, selon Raymond Hencks, mettre en place au niveau des États membres des indicateurs pour déterminer le caractère abordable d’un service ainsi qu’une évaluation indépendante des performances des Sieg qui garantisse cette accessibilité financière car cela n’existe pas ». Il convient d’en finir avec l’approche de la Commission trop axée sur les coûts du service en question (eau, communications mobiles, logement…). Aussi suggère-t-il de déterminer un panier de services de base, dont le taux d’effort d’un ménage serait fixé en fonction de ce qui est acceptable, par rapport au revenu disponible. « Cela permettrait, précise t-il de mieux quantifier cette notion et déterminer le pourcentage général des dépenses d’un ménage à partir duquel il y a surcoût, permettant, le cas échéant, d’obtenir des aides publiques ». Il réclame en outre un règlement en codécision (Parlement et Conseil) sur les conditions économiques et financières permettant aux États membres de garantir l’accessibilité financière aux Sieg pour tous les citoyens européens. À voir si la prochaine Commission s’en emparera.