Lors de cette quinzième édition du Monodrama, une soirée Monolabo fut dédiée à la langue anglaise, avec Olga Pozeli (Does It Bite), Sarah Lamesch (Mad World) et Jess Bauldry (This Is How You Lose Her). L’importance de l’anglais dans le champ des créations textuelles à Luxembourg se voit ici confirmée alors le premier prix Servais décerné à un roman en langue anglaise est récemment venu couronner M is for Amnesia d’Anne-Marie Reuter.
Questionnant notre rapport aux animaux, la Grecque Olga Pozeli ouvre le bal au milieu d’animaux en peluche qui font du surplace tout en bougeant leurs membres robotiques. Esquissant une chorégraphie avec son écharpe en fourrure de furet, Pozeli décline les différentes formes d’apparition de l’animalité sur scène : qu’ils soient empaillés, en plastique ou incarnés par des comédiens costumés, l’effet est au mieux loufoque, au pire incongru. Une incongruité qu’elle ne manquera pas de reproduire en tirant sur une laisse au bout de laquelle finira par surgir, par-dessous le gradin où est installé le public, un poisson en plastique, dont le frétillement imite l’asphyxie. Quand un animal apparaît sur scène ou dans un film, elle n’arrive pas à réprimer une sorte d’inquiétude : « Je suis sûre qu’ils sont là sans avoir donné leur consentement ».
S’en prenant avec ironie aux défenseurs des droits de l’animal, elle essaie de déconstruire leur rhétorique de manière ludique, affirmant que si on enferme bien nos animaux dans une cage, c’est dans des enclos que nous passons, nous aussi, nos vies. Nos maisons sont des cages, nos villes aussi, dit Pozeli. Nous sommes certes, libres d’en sortir, mais une cage plus grande nous enferme ; celle du capitalisme, qui nous force à gagner de l’argent que, parfois, nous utilisons pour nourrir nos animaux domestiques.
Olga Pozeli nous fait comprendre que parler à la place des animaux, même si c’est pour prendre leur défense, n’est qu’un énième anthropocentrisme. Elle nous interroge sur la part d’animalité qu’il y a en nous en feignant de pratiquer une sorte d’hypnose régressive sur certains membres du public dont elle retrace les vies animales antérieures. Elle veut montrer qu’il est absurde d’essayer de comprendre nos amis les bêtes, la triste vérité étant que celles-ci se foutent complètement de nous.
La pièce en elle-même a finalement du mal à prendre. En dépit d’une tentative de briser le quatrième mur, l’interaction avec le public paraît forcée, Pozeli lui posant des questions rhétoriques auxquelles elle répond bien trop vite, l’humour tombe souvent à plat et l’ironie peine à cacher le côté un peu didactique, un peu trop pastiche de cours de philosophie éthique de la chose. Does It Bite manque singulièrement de mordant.
Contrairement à Orestes in Mosul de Milo Rau, où la chanson Mad World tournait en boucle, Mad World de et avec Sarah Lamesch se contente d’en citer les paroles dans le programme de salle, confirmant que c’est bien le fameux titre de Tears for Fears qui a donné son titre au projet théâtral de la jeune comédienne.
Après quelques courts-métrages, Sarah Lamesch nous met, pour son premier projet d’écriture théâtrale, dans la peau de Hannah, qui vient de se faire larguer par son mec, l’initialement charmant Will et qui est donc de retour à la case de départ chez les parents. Depuis sa chambre d’enfance, elle essaie de reconstituer les étapes de cet échec relationnel qui l’ont ramené là, au milieu de cartons qui s’empilent et dans lesquels elle ne retrouve fichtrement rien. S’il y a, en matière de déménagement comme partout, deux types de personnes – ceux qui enrobent le moindre objet de papier à bulles avant de le glisser dans un carton labelisé et ceux qui fourrent tout n’importe comment n’importe où – il est clair que Hannah appartient à la deuxième catégorie. Et sa vie ressemble fortement à sa manière de faire ses cartons : décousue, improvisée, dévouée à la joie de vivre. Ce pétillement s’éteint peu à peu face à un mec de rêve qui coche sans surprise toutes les cases du type toxique, comme en témoignera un épisode de gaslighting bluffant.
Les ingrédients sont là pour un spectacle touchant sur la rupture amoureuse, la toxicité masculine, le manque d’orientation des millenials et la manière dont des relations traumatisantes peuvent conduire à de graves pathologies mentales. En revanche, ça coince dans la mise en scène ou, plutôt, l’agencement des fragments scéniques : Les changements rapides, combinés à un manque flagrant d’idées de mises en scène, font que la comédienne passe beaucoup trop de temps à danser sur tel ou tel titre de pop électro insipide tout en changeant de costume à tout-va. (Même si ses changements d’accoutrement feront sens une fois qu’on a appris le revirement final.) Alors que Mad World veut produire, de par la rapidité de ses changements, un effet d’urgence, le rythme trop frénétique fait s’estomper le sentiment de folie amoureuse et post-amoureuse, qu’une mise en scène plus rigoureuse eût fini par mieux traduire.
Enfin, This Is How You Lose Her, qui a pour originalité de flouter les genres entre stand-up et théâtre de l’intime, raconte un parcours de vie en dix chapitres autofictionnels que Gina Barton, avatar de l’autrice-comédienne Jess Bauldry, a tracés à la craie sur un tableau et qu’elle cochera à chaque épisode conclu comme pour visualiser tout un bagage éducationnel qu’elle souhaite laisser derrière elle. Le monologue raconte l’histoire d’une femme qui a tant cherché à plaire et à se conformer à l’image qu’autrui s’est construit d’elle que le jour où un de ses textes a enfin été publié et qu’il l’a été sous un faux nom, elle a préféré changer de nom plutôt que d’alerter l’éditeur qu’il s’est gouré.
C’est dans de telles hyperboles que le texte puise sa force, qui montrent à quel point ce qui est une qualité sur scène – plaire aux autres – peut être un obstacle de taille dans la vraie vie. Fil rouge, cette volonté de chercher l’approbation de toutes et, surtout, de tous, fait partie d’une éducation où les aspirations féminines ont été étouffées par un souci de normativisation patriarcale ou par méconnaissance du corps et des désirs féminins.
Évoquant de manière parfois touchante cette vie passée à vouloir plaire tout en se donnant les moyens de s’en émanciper, comme en témoigne le tableau final sur la masturbation féminine, This Is How You Lose Her raconte aussi et surtout comment la retrouver, la Her du titre. Hélas, la désinvolture du stand-up vient trop souvent contaminer des moments intimes touchants avec un humour assez lourd (les intermèdes publicitaires, le dialogue des seins). Le surjeu tout à fait légitime du stand-up s’immisce dans des passages qui auraient nécessité plus de nuances. Cette façon de constamment tourner en dérision ses propres déboires est, là encore, une manie du people pleaser, un meilleur équilibre des formes théâtrales eût évité que Bauldry perde le public.