Nathalie Ronvaux, poète, romancière et auteur dramatique, primée à plusieurs reprises — elle obtint notamment le premier prix du concours littéraire national en 2013 pour sa pièce La vérité m’appartient — est cette saison l’auteur en résidence au TNL. Dans ses créations de théâtre elle aborde entre autres des questions d’actualité ou d’intérêt général, comme dans Versions des faits où se pose la question du vivre ensemble dans le contexte d’un drame dans un quartier urbain.
Un couple de retraités décide un soir de renoncer au dîner tout préparé et de cuisiner un repas à partir de produits frais. Dès les premières bouchées, ils ressentent un violent malaise et ils succombent. Qui est le coupable ? Celui qui a eu l’idée de redonner vie à un ancien bistrot et à son jardin où il cultive des plantes ? Grâce à lui les habitants ont pris goût à manger du frais, à cultiver des plantes au lieu des plats congelés.
En tout cas il faut un coupable. Lui, celui qui a redonné goût aux habitants à se nourrir de produits naturels, désemparé, sent la suspicion voire l’hostilité des gens ; il se cloître dans son jardin (où l’on découvre le comédien Marc Baum portant un costume d’apiculteur fuchsia) discret et affairé dans ce refuge en verre à prendre soin de ses plantes. Soupçonné d’être coupable d’avoir familiarisé ses concitoyens avec les plantes dont l’une aurait provoqué la mort subite du couple (bien qu’il ne cultive pas cette plante néfaste dans son jardin), il ne sait pas se défendre et s’est volontairement isolé des autres.
Pour représenter les habitants, recueillir leurs griefs et essayer de dégager ce qui s’est passé en expliquant la cause de la mort subite du couple, une déléguée (Claude Breton, énergique et très présente sur scène) est nommée. Rapidement elle est flanquée d’une journaliste (Rosalie Maes, qui évolue de sa retenue au début à une présence marquante).
Les comédiennes sont habillées d’ensembles aux couleurs fuchsia et turquoise, une création d’Alex Gahr. Ce dernier est aussi responsable de la scénographie, une maison-serre, placée en haut d’un ensemble d’escaliers, bien mise en lumière par Daniel Sestak mais assez difficile d’accès. La déléguée et la journaliste (une projection vidéo de Sebastian Pircher renforce leur présence) essaient de faire sortir l’accusé de son refuge — ces tentatives sont trop redondantes – ou d’obtenir le droit d’entrée pour qu’il donne sa version des faits au lieu de laisser libre cours aux rumeurs, qui bientôt deviennent des accusations hostiles.
La metteure en scène, Liss Scholtes, met en valeur en particulier l’impact nuisible de la suspicion sur les hommes. Du jour au lendemain, la mort subite du couple met en lumière la localité, les gens perdent leur bon sens et ne savent pas comment se positionner face à la pression du qu’en dira-t-on et de la presse, ils accusent un des leurs d’être responsable d’un crime, l’amitié envers le cafetier se mue d’un coup en hostilité. Ils avaient quand même bien aimé de se retrouver dans son bistrot et dans son jardin pour bavarder ou, tout simplement, pour être ensemble.
Ce revirement est mis en lumière sur scène, notamment par la surélévation et l’isolation de la maison du cafetier, ce qui a pourtant comme désavantage de mettre à distance le public. Écrire un texte pour être lu demande d’autres exigences qu’un texte mis en scène. Citons encore la trouvaille de la metteure en scène à la fin de la représentation, montrer parallèlement sur scène au fond la maison du cafetier en flammes, et installés sur le devant du plateau, face au public, les trois comédiens-lecteurs qui expliquent le point de vue de leur personnage. Le théâtre et la lecture se rencontrent sur scène.