Le 1er novembre est entré en vigueur un règlement européen (règlement 236/2012) encadrant les ventes à découvert et prohibant les CDS (credit default swap) à nu, ces contrats d’assurance contre les défauts de paiement contractés par des investisseurs qui ne détiennent pas les titres qui y sont liés. Il a fallu deux ans de négociations pour que les institutions européennes parviennent à instaurer un régime commun à l’UE qui remplace les différentes réglementations nationales existantes en vue de mieux réguler ces pratiques à l’origine de graves perturbations des marchés financiers européens. C’est donc une victoire des politiques sur le marché financier spéculatif, mais elle reste limitée aux acteurs du marché européen qui constituent une faible part des spéculateurs.
L’objectif de l’interdiction des CDS à nu est de mettre un terme à la spéculation sur les titres souverains par le biais de ces CDS d’un État (CDS dits souverains) qui servent d’alerte aux autres marchés, car leur paiement est déclenché en cas de faillite d’un pays. Ce qui est en cause, c’est que dans le cas de CDS souverains « à nu », ces assurances s’échangent sans que les investisseurs ne détiennent les titres de dette correspondants, ce qui signifie qu’ils bénéficient de l’assurance, mais ne portent pas le risque. Le prix des CDS à nu a donc tendance à monter lorsque le marché spécule sur le risque de défaut de l’État concerné. En conséquence, l’État en question voit s’anéantir sa capacité à se refinancer sur le marché. C’est par ce moyen qu’a pris naissance la crise des dettes souveraines européennes qui a touché la Grèce, l’Italie ou la Belgique en 2010 et a contribué à l’aggravation de la crise financière par l’utilisation détournée qu’en ont fait certains investisseurs, principalement de hedge funds basés à Londres.
Avec ce nouveau règlement, l’utilisation en Europe des CDS doit retrouver leur fonction d’origine qui est d’être une assurance contre un événement exceptionnel et non un outil de spéculation. C’est pourquoi les investisseurs ne pourront plus acheter des CDS souverains lorsqu’ils ne détiennent pas les titres de dette correspondants. Le règlement prévoit néanmoins que les régulateurs nationaux peuvent lever l’interdiction pour au moins douze mois s’ils peuvent prouver à l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) que la restriction est à l’origine d’une hausse du coût de l’emprunt ou si le montant de la dette souveraine négociée fluctue considérablement. L’ESMA devra alors se prononcer sur le bien-fondé des arguments avancés.
Le nouveau texte comporte également des dispositions encadrant davantage les ventes à découvert en général. Cette technique consiste à vendre un titre dont on anticipe la baisse et qu’on ne possède pas toujours, du moins pas encore au moment de la vente. Le vendeur s’engage en fait à fournir un titre à un certain prix à une certaine date, en faisant le pari que le cours de ce titre va baisser entretemps. Dans un contexte baissier, la plus-value peut être rapide et très importante et cette technique a donc été utilisée par certains acteurs dans un but spéculatif, car il n’avaient aucune intention de livrer les titres à l’échéance.
Lorsqu’un opérateur de marché voudra vendre à découvert une grande quantité de titres d’une entreprise (0,2 pour cent du capital) ou d’un État (variable selon chaque État membre), il devra en informer les autorités de supervision nationales. De plus, s’il est question de vente à découvert sur les actions et les obligations d’État, l’opérateur devra fournir des garanties qu’il pourra conclure la transaction. Si, après la transaction, il est incapable de livrer le titre dans les trois jours, un règlement en liquide sera exigé le quatrième jour, sous peine d’amende.
L’ESMA aura le pouvoir d’interdire les ventes à découvert d’actions de manière coordonnée en cas de tension sur les cours de certains titres. Plusieurs États membres – la France, l’Italie, et la Belgique – avaient en ce sens proscrit, pour une période temporaire, les ventes à découvert sur les valeurs bancaires très attaquées notamment pendant la crise financière en 2009-2010. L’Espagne quant à elle, a récemment déclarée qu’elle maintenait cette interdiction jusqu’au début 2013.
Le règlement européen prévoit que dans des « situations exceptionnelles », les régulateurs nationaux auront le pouvoir de suspendre les ventes à nu et les CDS pour au moins trois mois ou d’imposer des interdictions d’urgence d’une journée pour des instruments financiers spécifiques. Cet encadrement et cet effort de transparence impulsé par l’UE est sous tendu par l’hypothèse qu’il conduira à des informations plus fiables en termes de volumes, de la nature des positions et de leur origine évitant ainsi les « théories du complot » et donc à plus grande liquidité. Autrement dit, en assainissant ces marchés de vente à découvert on aboutirait non à leur déclin mais plutôt à leur essor. Un présupposé qui est battu en brèche par plusieurs économistes. Certains analystes estiment ces dispositions peu pertinentes eu égard au volume de ventes à découvert majoritairement effectué par des acteurs non européens et / ou non soumis au contrôle et à la régulation des régulateurs bancaires ou boursiers. Néanmoins, l’UE a voulu donner un signal clair aux spéculateurs et elle doit maintenant s’attaquer à un autre volet celui du shadow banking et instaurer un système de sanction pour ces activités bancaires non régulées parfois déstabilisatrices. Mais on est encore loin d’un consensus sur ce point.