Voici quelques années encore, la Turquie passait pour être particulièrement sensible aux chocs économiques extérieurs et était considérée comme un pays problématique, synonyme d’inflation galopante, d’importants déficits budgétaires et de devise plutôt faible. Ce pays est aujourd’hui considéré au contraire par de nombreux spécialistes comme une sorte de « refuge » au sein d’une région par ailleurs minée par la crise – la Turquie elle-même ne peut malgré tout se soustraire totalement aux diverses sources de conflits qui la menacent ces derniers temps. L’agence de notation Fitch vient de relever le statut du pays à investmentgrade.
Cela pourrait abaisser à nouveau les coûts de financement de l’État, des banques et des entreprises, parce qu’un nombre nettement plus élevé d’investisseurs internationaux peut désormais investir en Turquie. De nombreux fonds de pension exigent toutefois au minimum le statut investmentgrade d’au moins deux agences de notation. S&P et Moodys en sont encore au stade antérieur.
La bourse sur le Bosphore compte parmi les plus performantes au monde. Marchés financiers et projets économiques attirent de plus en plus de capitaux étrangers. Depuis le début de l’année, les cours à Istanbul ont enregistré une hausse de plus de 40 pour cent (Index ISE-30) et atteignent pratiquement les sommets historiques de l’année 2010. Au cours des dix dernières années, ils se sont appréciés avec une vigueur bien supérieure à celle des marchés émergents en général. L’expérience montre toutefois que la majeure partie de la performance induite par le relèvement d’une note souveraine intervient avant son annonce officielle. L’ambiance positive du marché pourrait cependant se poursuivre à court terme – mais pour parvenir à une évolution positive prolongée des cours, il faut encore que les valorisations des actions se trouvent consolidées par les bénéfices attendus des entreprises.
Après sa hausse fulgurante, le marché turc des actions ne peut quoi qu’il en soit plus être considéré comme bon marché car le discount de valorisation qui a longtemps persisté face aux autres marchés émergents a pratiquement disparu. Certaines des questions notoirement problématiques, telles que les importants déficits budgétaires et la sensibilité particulière aux fortes hausses des tarifs pétroliers, subsistent encore. Enfin, la dynamique de croissance présente également un ralentissement par rapport aux années précédentes. Dès lors, d’où pourrait donc provenir le potentiel pour de nouvelles hausses de cours ?
À long terme, ce sont principalement des arguments démographiques – tels que la pyramide des âges la plus favorable de toute l’Europe – et en partie aussi la situation géostratégique de la Turquie qui plaident le mieux en faveur d’une croissance persistante dans le pays, et surtout en faveur de nouvelles baisses des taux d’intérêts et des taux d’inflation à court et moyen terme. Pendant longtemps, les hausses de prix en partie hyper-inflationnistes ont été à l’ordre du jour. L’inflation annuelle entre 1983 et 2001 était en moyenne de 60-70 pour cent. Les taux d’inflation ont nettement régressé depuis – à « seulement » dix pour cent environ au cours de la dernière décennie. Cette valeur baissera encore sur l’ensemble de l’année 2012 – et pourrait même se stabiliser aux alentours de sept pour cent - ce qui est peu eu égard à « la situation générale en Turquie ».
La politique peu conventionnelle de la Banque centrale turque s’est révélée judicieuse. La Banque centrale turque a en effet joué un rôle central dans cette évolution. Alors qu’elle était raillée de toutes parts ou fortement critiquée pour sa conduite imprévisible, elle a énormément amélioré sa réputation et a ramené, grâce à des concepts de gestion innovants, le contexte général des taux d’intérêts et de l’inflation et le cours de change de la lire dans des eaux nettement plus calmes et limpides. Elle peut ainsi désormais se détourner progressivement de la lutte contre l’inflation au profit du soutien de la croissance et poursuivre sa politique d’abaissement des taux d’intérêts. Le contexte général, placé sous le signe de fortes baisses des taux d’intérêts au niveau mondial, y a naturellement contribué.
En dépit de la proximité géographique de la zone euro et de la nette régression de ses taux d’exportation au sein de l’Union européenne, la Turquie sort en fin de compte indirectement gagnante des difficultés financières et économiques croissantes que rencontrent de nombreux pays industrialisés. Même les fortes hausses des prix céréaliers sur les bourses internationales de matières premières ne peuvent actuellement porter gravement atteinte à la Turquie ; le marché intérieur des céréales est nettement cloisonné, et fortement régulé par l’État.
Les baisses de taux d’intérêts aident la Turquie à bien des égards. Elles stimulent les attributions de crédits, la consommation et les investissements, et entraînent des hausses de bénéfices pour les banques et les entreprises. Elles allègent en outre fortement le budget de l’État. Si les remboursements d’intérêts sur la dette de l’État représentaient encore près de 43 pour cent des dépenses de l’État en 2002, ils ne représentent plus à présent que douze pour cent environ. Le contexte d’intérêt zéro aux États-Unis et dans les pays du noyau de la zone euro attire de nouveaux capitaux étrangers en Turquie. Il est vrai qu’ici aussi, le niveau des taux d’intérêts est déjà très nettement inférieur à ce qu’il était voici quelques années. Toutefois, en comparaison internationale, la Turquie continue d’offrir un profil rendement-risque attractif pour les investissements financiers et pour les investissements réels.
Le statut investmentgrade pourrait accélérer de nouvelles réformes. L’accès du pays au statut investmentgrade pourrait inciter aussi bien la Banque centrale que le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour mieux maîtriser les finances publiques et le déficit chronique de la balance des paiements. Des progrès durables ne peuvent naturellement pas être réalisés du jour au lendemain. La balance des paiements demeure ainsi le facteur de risque majeur pour une perspective positive du marché et pourrait donc également retarder le relèvement espéré de la notation. L’une des principales approches de la part du gouvernement réside dans les mesures d’incitation au niveau des investissements et de la fiscalité pour accroître le taux de fabrication et la création de valeur en Turquie et devoir importer par voie de conséquence des quantités moindres de produits semi-finis. Dans ce contexte, les investissements directs de l’étranger dans des sites de production turcs sont encourageants. Côté financement de la balance des paiements, l’État tente également de s’impliquer davantage. Pour réduire la dépendance relativement forte vis-à-vis des bailleurs de fonds étrangers, le taux encore relativement bas de l’épargne intérieure sera prochainement relevé en Turquie, entre autres par le biais de réformes sur la fiscalité et sur le système de prévoyance retraite.
Dans l’ensemble, les tendances de l’économie mondiale et de l’économie nationale se rejoignent harmonieusement et créent ainsi une spirale positive pour la Turquie, qui pourrait encore durer un certain temps. À cela s’ajoute que la base des exportations du pays s’est nettement diversifiée entre-temps. Si les exportations de la Turquie vers l’UE représentaient encore près de 60 pour cent voici cinq ans, elles sont passées entre-temps à 37 pour cent environ. La croissance des exportations baissera toutefois quelque peu en 2013, mais elle pourrait céder la place à une consolidation de la conjoncture intérieure. Les conditions semblent ainsi réunies pour que l’économie nationale turque enregistre en 2012 comme en 2013 une croissance très solide de près de quatre pour cent – en dépit des difficultés persistantes à attendre dans la zone euro.
Les tensions politiques dans l’ensemble de la région (Irak, Syrie, Libye, Egypte, Israël, Iran) représentent une épée à double tranchant pour la Turquie. Jusqu’à présent, le pays a profité de la situation en attirant comme un aimant les fuites de capitaux de tels États. Mais une implication dans la guerre civile syrienne porterait un préjudice énorme à la Turquie – en dépit de sa puissance militaire. Un risque véritable pour l’approvisionnement énergétique de la Turquie existerait également dans le cas d’une escalade massive, telle qu’une intervention militaire israélo-américaine contre l’Iran. En pareil cas, les conséquences ne se limiteraient naturellement pas à la Turquie, mais auraient de graves incidences mondiales, et ni Israël, ni les États-Unis, et surtout pas l’Iran, n’en sortiraient gagnants.
Tout bien considéré, en dépit du fort mouvement haussier des cours ces dernières années, le risque de baisse pour le marché turc des actions dans une vision à 12-24 mois semble relativement limité, alors qu’un certain potentiel existe encore pour de nouvelles hausses de cours. De nouvelles baisses des taux amélioreraient en outre globalement la valorisation du marché des actions par rapport au marché obligataire. Par essence, il est impossible de faire abstraction des actions bancaires turques – elles sont fortement représentées dans les indices actions et profitent directement de la tendance à la baisse des taux d’intérêts et de l’inflation. Les perspectives de rendement des titres de l’industrie et de la consommation turcs continuent d’être attractives.