Elle a la taille d’une joueuse de basket et est fière d’avoir gagné à seize ans le titre de vice-championne européenne. Le 19 septembre, trente ans plus tard, la procureure Laura Codruta Kövesi remporte une autre victoire. Cette icône de la justice en Roumanie a été élue par les plus hautes instances européennes pour diriger le futur parquet européen qui sera opérationnel fin 2020. Une élection que le gouvernement de son pays a tenté de bloquer par tous les moyens. Le Conseil européen a validé sa nomination à ce poste clé d’autant qu’elle a été choisie par le nouveau Parlement européen. Une victoire pour la justice, une défaite pour le gouvernement roumain qui n’a cessé de la harceler. « C’est une reconnaissance du travail des procureurs et des juges roumains, a-t-elle déclaré après son élection. C’est la victoire de tous les Roumains qui ont soutenu la lutte contre la corruption, l’état de droit et les valeurs européennes. »
Le combat pour la justice que Mme Kövesi a mené dans son pays n’a pas été facile. À 33 ans la jeune procureure est nommée à la tête du Parquet national de la Roumanie et en 2013 elle
prend la direction d’une unité d’élite chargée de combattre la corruption : le Parquet national anticorruption (DNA). Des centaines de hauts fonctionnaires, députés, sénateurs, ministres, maires et autres personnages publics se sont retrouvés derrière les barreaux grâce au programme « Mains propres » mis en place par cette Cerbère de la justice et son équipe de jeunes procureurs formés en Europe occidentale. Cependant le gouvernement social-démocrate arrivé au pouvoir en 2016 a procédé à une refonte de la législation pénale visant à limiter le pouvoir des magistrats.
La pomme de discorde entre le gouvernement et les procureurs a été Liviu Dragnea, le chef des sociaux-démocrates. Grâce au travail de Mme Kövesi l’homme fort de l’échiquier politique a été condamné le 27 mai à trois ans et demi de prison ferme pour trafic d’influence. Il a également fait l’objet d’une enquête de la part de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) de Bruxelles qui l’a accusé d’avoir détourné 21 millions d’euros. Toutefois l’OLAF ne dispose pas de la logistique et des moyens nécessaires pour empêcher le détournement de fonds européens, d’où la nécessité d’une nouvelle institution européenne pour répondre à ce défi. « Le parquet européen permettra de protéger le budget européen et de garantir que l’argent destiné aux politiques d’intérêt général ne va pas dans les poches des criminels », a affirmé dans un communiqué l’eurodéputée Saskia Bricmont (groupe des Verts / Alliance libre européenne).
Le Parquet européen sera une institution indépendante chargée de rechercher, de poursuivre et d’envoyer devant la justice les auteurs d’infractions qui ont porté atteinte aux finances de l’Union européenne (UE). La corruption et la fraude transfrontalière à la TVA, dont le montant est supérieur à dix millions d’euros, seront les priorités du nouveau parquet européen dont le siège sera basé à Luxembourg. Les fraudes à la TVA au niveau européen sont estimées à cinquante milliards d’euros. Un pactole qui représente presque un tiers du budget européen, lequel s’élève à environ 165 milliards d’euros par an. Le pouvoir des futurs procureurs européens ne sera pas négligeable. Pour mener à bien leurs enquêtes ils pourront s’appuyer sur la police, les douanes et l’administration fiscale des pays membres.
Ces dispositions devraient être plus efficaces que les actions de l’Olaf qui ne peut que transmettre les résultats de ses enquêtes aux autorités nationales qui décident ou non de mener une action pénale. Pour l’instant, seulement 36 pour cent des recommandations de l’Olaf ont donné lieu à des poursuites pénales. « Le parquet européen doit être mis en place rapidement pour pouvoir s’attaquer au fléau de la corruption et défendre l’État de droit en Europe », a déclaré le Roumain Dacian Ciolos, président du groupe Renew Europe au parlement européen.
Vingt-deux États membres se sont mis d’accord pour créer ce nouveau parquet qui disposera de procureurs délégués dans chacun des États qui y participeront. La Grande-Bretagne qui doit quitter l’UE, la Hongrie, la Pologne, la Suède, le Danemark et l’Irlande ont décidé de ne pas participer à sa mise en place. L’Olaf continuera à faire des recommandations d’ordre juridique et à suivre les affaires dans ces pays. L’Olaf pourra également saisir le nouveau parquet en cas de suspicion d’infraction pénale. Le parquet européen comptera 117 employés, mais son ouverture doit attendre une adaptation de la procédure pénale dans plusieurs pays membres. Quant à Laura Codruta Kövesi, elle aura un agenda bien chargé. « Ma génération veut changer les choses, explique la cheffe du DNA. La bataille la plus dure ne concerne pas le changement des lois et des procédures, mais le changement des mentalités. »