En mai dernier, la huitième édition de la Nuit de la culture à Esch-sur-Alzette était reportée à septembre, deuil national (pour le grand-duc Jean, ndlr.) oblige. Ce genre d’évènement conséquent nécessite les services de dizaines d’artistes ou d’intermittents du spectacle et d’innombrables bénévoles, souvent engagés des mois, voire une année à l’avance, de sorte que l’annonce du report a représenté un sacré challenge pour tous les concernés. Samedi 14 septembre, la fébrilité est le mot qui résume le mieux l’ambiance qui règne dans les rues de la future capitale européenne de la culture. Tandis que l’an dernier, le rêve et l’onirisme étaient mis en avant, cette année, c’est la thématique de l’eau et de l’Alzette qui va être développée une nuit durant. Au programme, de l’eau sous toutes ses formes. Instrument de musique subaquatique, robinets qui goutent, glaçons en suspension, pluie digitale et monstres marins, en somme, un cabinet de curiosités aquatiques réparti sur trente stations culturelles à travers le centre-ville.
En fin d’après-midi, la Kulturfabrik vaut non pas le détour, mais l’attardement. Dans la galerie Terres Rouges déjà, une intrigante installation sonore signée Arno Fabre et intitulée Conte pour radios et robinets (2004). Sur un mur planté au milieu de la pièce, quinze postes de radio portables alignés et quinze robinets, très légèrement ouverts, nous font face. Les gouttes qui tombent percutent des fils dénudés qui établissent le contact électrique permettant aux radios de diffuser des fragments sonores. Ainsi, le silence est ponctué par des micro-brouhahas.
Dans le même ordre d’idée, celle de l’attente, l’installation En attendant Kyoto est à retrouver dans la grande salle. Difficilement descriptible, Max Vandervorst, son créateur et interprète, la présente comme une série d’installations aquatiques de « Pataphonie arctique ». Tout un programme donc, assurément ludique. Des cylindres en plastique sont installés en cercle. Chaque récipient contient des cymbales ou ustensiles potentiellement musicaux. Au-dessus, des structures en bambou sur lesquelles sont accrochés des glaçons qui, lorsqu’ils fondent, libèrent des billes qui viennent taper les cymbales et autres idiophones. Max Vandervorst, à l’intérieur du cercle, joue d’une guitare recyclée ou souffle dans une bouteille, au rythme de la musique hasardeuse mais envoûtante.
Au même moment, sur le parvis du centre culturel, Evandro Serodio interprète Flippant le Dauphin, un laborieux spectacle comique de marionnettiste, très gentiment trash. On lui laisse le bénéfice du doute, mais on préfère revoir un peu de cette fonte des glaces poétique et japonisante. On accède à une plage éphémère en passant par une porte dérobée. Le collectif d’artistes Hariko a mis en place un terrain de beach volley et quelques transats. De la musique californienne se fait entendre. On se rend ensuite au 7, rue Berwart dans le nouvel espace Facilitec pour une performance du collectif Independent Little Lies.
Au fond d’une pièce sombre, un cadavre nu gît sous une bâche transparente. Le climat est angoissant. Sayoko Onishi fait dos au public, elle porte une épaisse robe verte. À sa gauche, Emmanuel Fleitz alias Man’ok, encapuchonné et portant un masque sans visage, se met à jouer de sa contrebasse. Le duo avait déjà fait sensation lors de l’édition précédente, lorsqu’il avait envahi le hall du musée national de la Résistance. Cette année, sa performance se présente comme une expansion à la pièce Blackout de Claire Thill, qui est basée sur l’absence de pluie, l’absence d’eau et ses conséquences. Une musique lancinante illustre les mouvements de la danseuse et chorégraphe qui se dirige avec peine vers un coin où sont suspendus des tubes blancs. Sayoko Onishi monte sur un tabouret. Un torrent de pluie digitale s’abat alors pour une intéressante expérience de sons et de lumières. La danseuse déplie un parapluie sur lequel sont projetées des images de la pièce. Tout s’emballe alors. Hurlements, choc des corps avec des ombres menaçantes. On pense aux quelques enfants présents qui vont avoir du mal à dormir après coup.
De la place de la Résistance jusqu’au parc Laval, le public assiste à une traditionnelle parade avec clowns et poissons géants. Quelque chose se trame dans la piscine municipale. Un concert, un brin particulier, est prévu. Les visiteurs sont priés de se changer, de s’équiper de flotteurs et d’entrer dans le grand bassin. Sonic Waters est un spectacle signé Michel Redolfi et Jean-Marc Barr. Le premier a mis au point un instrument de musique subaquatique fonctionnant à base de vibrations sonores. Le second, perché sur le plongeoir, récite des textes de John Cage et Erri De Luca. Le monde du silence n’est pas celui que l’on croit. De l’extérieur on ne voit que des corps flottants. Une vision bleutée d’un Styx Eschois. Dans le parc, un spectacle de brume et de lasers signé Edwin van der Heide impressionne. La nuit se prolonge dans le Magic Mirrors, immanquable chapiteau itinérant.