Troisième voire quatrième révolution industrielle

Futur (antérieur) du travail

d'Lëtzebuerger Land vom 27.01.2017

La question de la fin du salariat (et de l’essor prochain de nouvelles formes de travail) est un « point focal ». Cette « croyance » (très répandue) est entretenue par des travaux – généralement très repris par la presse – qui annoncent (le plus souvent sans nuance) que des millions d’emplois sont menacés/vont disparaître à cause de la Troisième voire Quatrième révolution industrielle en cours et du progrès technique, et/ou que les marchés du travail vont être « ubérisés » avec à terme une part prépondérante de travailleurs indépendants/freelance/multi-actifs et un net recul du « salariat ».

À la question : le « robotariat » et le « freelance » vont-ils remplacer le salariat ? J’aurais tendance à dire : « sur la base des (nombreuses) études publiées à ce sujet, il semble prudent de répondre ni oui, ni non, bien au contraire, quoique peut-être ! » et d’évoquer un conte :

Imaginez un résident du Luxembourg d’aujourd’hui qui voyagerait dans le temps et se retrouverait dans le Kirchberg du début des années 1980 ; il serait sans doute surpris de découvrir – s’il ne connaît pas suffisamment l’évolution socio-économique du pays2 – que le Kirchberg était encore à cette époque partiellement « champêtre ». La surprise serait cependant plus grande pour un éventuel agriculteur du Kirchberg de l’époque qui apprendrait que la population a progressé de 367 000 habitants en 1985 à 576 000 en 2015 (+56 pour cent), que le nombre de travailleurs frontaliers est passé de moins de 20 000 en 1985 à 170 000 en 2015 (+750 pour cent), mais que dans le même temps le nombre de vaches laitières a baissé de quarante pour cent, que le nombre de bovins a baissé de dix pour cent, que le nombre de poules et poulets a baissé de treize pour cent, que le volume total de travail agricole est passé de 8 000 à 3 500, sans que la population ne souffre de malnutrition.

Il aurait probablement du mal à croire que certaines personnes soient « data scientist », d’autres « professeurs de yoga », « coach de zumba », « community manager », « journaliste web », « cloud services specialist », « ministre du développement durable », « ministre de la Grande Région », « auditeur de fonds d’investissement socialement responsable », « directeur responsabilité sociale », « Email automation engineer », « mannequin Instagram », « blogueurs mode », « youtubeur », « snapchateur », « chef d’agence numérique », que le taux d’emploi des femmes (entre 30 et 54 ans) soit passé de 35 pour cent en 1985 à 75 pour cent en 2015, que l’entreprise SES – créée en 1985 – soit devenue un leader mondial, qu’une femme soit « Secrétaire d’Etat à l’Économie », que la place financière du Grand-Duché soit l’une des plus importantes du monde, et cetera.

Il n’est ainsi peut-être pas vain de « penser » que si un résident de 2045 venait aujourd’hui « raconter » à un « salarié » du Kirchberg les emplois de demain et les réussites futures du Luxembourg (dans les technologies de l’espace grâce à un cadre légal adéquat et des investissements en R&D bien orientés, les TIC grâce au succès de la Sàrl-S, à l’essor du business-angel luxembourgeois, et la réussite de la stratégie Digital(4)Education, les sciences de la santé grâce à l’essaimage en provenance de la recherche dans le domaine au sein de la Luxembourg Medical School, l’industrie grâce au succès de l’initiative Hello Future, la logistique avec le développement de la nouvelle route de la soie, et cetera), il serait comme l’agriculteur susmentionné…

Michel-Edouard Ruben est économiste à la Fondation Idea.

1 Extrait tiré d’une publication de la Fondation Idea Fin du travail ? : Quel modèle social pour le futur ?, à paraître

2 Voir en conséquence : Statec (2013) : Luxembourg un demi-siècle de constantes et de variables

Michel-Edouard Ruben
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