Depuis que la semaine des 35 heures a été instituée dans leur pays il y a quinze ans, les Français en contact avec des étrangers, surtout dans un cadre professionnel, se font régulièrement chambrer sur le peu de temps qu’ils passent au travail. Deux études publiées récemment ne vont pas arranger leurs affaires. La première, due au cabinet français COE-Rexecode, s’est penchée sur la durée du travail dans les 28 pays de l’UE. La seconde, issue de l’Institut zur Zukunft der Arbeit (IZA) basé à Bonn, établit une comparaison des temps de travail en Europe et aux États-Unis.
L’étude de COE-Rexecode, parue en juin 2016, a exploité des données fournies spécialement par Eurostat à partir de l’enquête de 2015 sur les Forces de travail (LFS), non sans difficultés méthodologiques. Sans grande surprise, avec 1 646 heures par personne sur l’année, la durée effective de travail des salariés à temps complet en France était la plus faible des 28 pays de l’UE où la moyenne est de 1 857 heures. Elle a diminué de 11,7 pour cent depuis 2000 (trois pays seulement ont fait mieux) ce qui représente 218 heures de moins.
L’écart avec la Roumanie, qui est le pays de l’UE où l’on travaille le plus, est considérable : 434 heures par an. Un Français fait donc 21 pour cent d’heures de moins qu’un Roumain, ce qui correspond à un jour de moins chaque semaine ouvrée ! Mais la différence n’est pas non plus négligeable, et s’est même accentuée, avec ses principaux voisins. Elle est de 130 heures annuelles avec l’Italie, de 165 heures avec l’Espagne, de 185 heures avec les Pays-Bas, de 199 heures avec l’Allemagne, de 228 heures avec le Royaume-Uni et de 263 heures avec le Luxembourg ! Par parenthèse, le Grand-Duché est un pays où l’on travaille longtemps : avec 1 909 heures il figure en dixième position sur 28, avec avant lui seulement des pays de l’ex-bloc de l’Est et de la Méditerranée orientale (Grèce, Malte, Chypre). La baisse du nombre d’heures n’y a été que de 4,6 pour cent en quinze ans.
La position atypique de la France ne s’explique pas seulement pas une durée légale de la semaine de travail plus courte qu’ailleurs. Le pays bénéficie également de congés annuels plus longs. De plus, l’administration publique y pèse lourd (5,65 millions de fonctionnaires) : or la durée du travail y est de seulement 1 569 heures.
Toutefois, la prise en compte du temps partiel rebat quelque peu les cartes. Il est très répandu dans certains pays du nord de l’Europe : selon Eurostat, alors que la moyenne européenne était de 20,3 pour cent en 2014, il concernait entre 24 et 28 pour cent des salariés en Belgique, en Allemagne, au Royaume-Uni, au Danemark et en Autriche et jusqu’à cinquante pour cent aux Pays-Bas. Au Luxembourg, il touchait 18,8 pour cent des salariés, un taux inférieur à la moyenne, mais nettement plus élevé qu’en 2008, où il avait été de 13,2 pour cent. La France connaît un niveau voisin (18,9 pour cent).
Mais dans ces deux pays, la durée du travail à temps partiel est bien plus élevée que la moyenne européenne, qui est de 925 heures. Pas très étonnant au Luxembourg (1 038 heures) où l’on travaille déjà longtemps à temps plein. Plus surprenant en France où la durée du temps partiel, 981 heures, est supérieure de 90 heures à celle des Espagnols, de 92 heures à celle des Allemands et de 108 heures à celle des Britanniques.
En tenant compte de l’ensemble des salariés, ce sont les Pays-Bas qui sont bons derniers en Europe avec 1 366 heures. Le Luxembourg tombe de la 10e à la 16e place (1 754 heures contre 1 627 en Italie, 1 580 en Allemagne et presqu’autant en Belgique) alors que la France échappe aux sarcasmes en remontant de la 28e place au 25e rang avec 1 521 heures. Une progression modeste mais qui la rapproche considérablement de ses grands voisins, avec lesquels l’écart ne se chiffre plus qu’en dizaines d’heures.
L’étude Coe-Rexecode pèche sur un point important : elle ne prend pas en compte la productivité. Car, comme l’écrit le site Bloomberg « la comparaison de quelques heures ne dit rien de la richesse des sociétés concernées. Il est beaucoup plus important de savoir comment les gens productifs passent leurs heures de travail ».
Des données complémentaires de l’OCDE permettent d’éclairer la question. Il en ressort que si les Français sont parmi ceux qui travaillent le moins, ils font aussi partie de ceux dont la productivité est la meilleure : avec 60,6 dollars de PIB par heure travaillée, ils se situent très au-dessus de la moyenne de la zone euro (52,9) et de l’UE (47,4). Pendant chaque heure ils produisent 25 pour cent de plus que les Britanniques, qui passent cent heures de plus au travail par an tous statuts confondus. Un résultat qui a pu faire écrire à l’hebdomadaire The Economist, habituellement plus versé dans le French bashing, que « les Français pourraient être en congés le vendredi, ils produiraient encore davantage que les Britanniques en une semaine ».
Publiée sous l’égide de l’IZA en août 2016, l’étude « Hours Worked in Europe and the US : New Data, New Answers » a établi pour sa part qu’au cours des années récentes les Européens (18 pays étudiés) ont travaillé 19 pour cent d’heures de moins que les Américains, alors que dans les années 1970 les durées du travail étaient comparables de chaque côté de l’Atlantique.
Les chercheurs allemands (Alexander Bick de l’Arizona State University, Bettina Brüggemann de la McMaster University dans l’Ontario et NicolaFuchs-Schündeln de la Goethe Universität de Francfort) ont eu recours à une méthodologie originale, qui a consisté à diviser l’ensemble des heures effectivement travaillées par toute la population adulte, pas seulement celle qui occupe un emploi, comme dans l’étude Coe-Rexecode. Un calcul qui donne des résultats fictifs, mais avec l’avantage que des comparaisons directes deviennent possibles, car il revient à gommer l’incidence des congés, du chômage et de la retraite pendant lesquelles les heures effectivement travaillées sont nulles.
Les chiffres obtenus sont assez étonnants. Dans quatre pays (France, Pologne, Belgique et Italie) le « temps de travail » se situe entre 18,4 et 19,8 heures par personne et par semaine. Dans douze autres pays, dont l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’Espagne (le Luxembourg n’était pas pris en compte), elle est comprise entre 20,2 et 22,7 heures. La République tchèque (23,4) et surtout la Suisse (25,1) sont les seuls pays européens à se rapprocher du niveau américain (26,1 heures). Sachant que la moyenne européenne est de 21,4 heures d’où vient la différence de près de cinq heures entre les deux rives de l’Atlantique ?
Deux grands facteurs sont à l’œuvre, expliquant à part égale les deux tiers de l’écart. Le premier tient au nombre de semaines travaillées, plus faible en Europe où existent, notamment à l’ouest et au nord, de « généreuses dispositions » en matière de congés. Le deuxième tient au niveau élevé du chômage en Europe du sud et de l’est, lui-même lié, selon l’étude, à une inadaptation des qualifications aux besoins de l’économie. Pour expliquer le dernier tiers de l’écart, les auteurs évoquent d’autres raisons. Ils considèrent notamment qu’aux États-Unis, les salariés sont incités à travailler plus longtemps car ils sont moins bien protégés socialement, parce que les revenus supplémentaire sont moins taxés qu’en Europe et parce que « travailler davantage permet de monter dans l’échelle sociale » plus facilement qu’en Europe, comme le note Dora Gicheva, de l’Université de Caroline du nord. Finalement, un travail plus long est plus susceptible outre-Atlantique d’être rentable, sur le plan de la reconnaissance sociale comme sous l’angle monétaire, d’autant que la production pendant chaque heure travaillée est plus élevée qu’en Europe.
Entre 2005 et 2007, années qui ont fait l’objet de l’étude IZA, la différence était de 17 pour cent en faveur des Américains. En 2015 selon l’OCDE elle est de 19 pour cent si on compare ces derniers aux habitants de la zone euro (62,9 dollars contre 52,9), mais monte à 32,7 pour cent si on prend en considération tous les pays de l’UE. L’écart de productivité s’est donc creusé depuis la crise. Un constat qui ne manquera pas d’être rapproché du taux de chômage : aux États-Unis il s’élève actuellement à 4,6 pour cent contre 9,8 pour cent, soit plus du double, dans la zone euro.