En traversant l’exposition très pop et très riche de son collègue français Bruno Peinado, Casino Incaos, actuellement dans les salles du Forum d’art contemporain, Francisco Camacho doit avoir les poils qui se dressent. Pourtant, ces salles, l’artiste colombien (né en 1979 à Bogotà) les traverse quasi quotidiennement depuis son arrivée au Luxembourg le 12 septembre. Vivant et travaillant depuis quelques années à Amsterdam, Francisco Camacho est le deuxième artiste « en résidence » au Project room ; sélectionné sur dossier après un appel international par le réseau e-flux et logé à l’Abbaye de Neumünster. Il devrait avoir les poils qui se dressent parce que toute l’œuvre de Peinado consiste en une production quasi boulimique d’objets, sculptures et néons, alors que lui, Camacho, a une approche diamétralement opposée, estimant que l’art est un acte politique qui implique une participation du public. « Pour moi, l’art est un processus de définition politique, dit-il. La société a besoin d’un art qui s’engage, pas d’objets ou d’esthétique... » S’il ne jugera pas l’œuvre de Peinado pour autant, il est néanmoins intéressant que le Casino propose en même temps deux univers si opposés.
Ayant entamé sa formation en Colombie, puis l’ayant poursuivie en France et à la Rijksakademie à Amsterdam, Francisco Camacho fait des actions micro-politiques plutôt que de produire des œuvres : un appel à l’érection d’un « monument à la vérité » dans la petite bourgade américaine de Truth or Consequences (!), des démonstrations politi-ques absurdes réalisées en solitaire à Bruxelles, tout comme des tentatives d’établir de nouveaux records pour le livre Guiness comme boire le plus grand nombre de cafés d’affilée en une minute (il a réussi à en boire 17), ou une action politique pour que les mariages de groupes soient légalisés aux Pays-Bas...
Son projet luxembourgeois consiste en plusieurs volets et cherche à interroger la méthode de socialisation qu’est la nôtre – et qui, selon l’artiste, n’est « pas très claire ». Pour cela, il a en un premier temps interrogé des représentants du Luxembourg officiel – le président du Parlement, Laurent Mosar, le directeur de l’ABBL, Jean-Jacques Rommes, l’archevêque Fernand Franck, la ministre de la Culture Octavie Modert ou encore le recordman Georges Christen – sur l’image du grand-duché, le secret bancaire, l’argent, les impôts, le consensus... Puis, il a montré ce film à des recrues de l’école militaire en leur demandant de réagir. Ce sont leurs réactions qui seront filmées et montrées dans le film final, accompagné, en guise de contrepoint, par une musique des rappeurs de De Läb (voir ci-contre), qui ont produit un morceau sur mesure. « Ce que je veux, explique l’artiste, c’est déconstruire le débat, pour ensuite le reconstruire. »