Au début de la pièce, un homme creuse un trou, quelque part dans le désert, pour son cheval mort. Hobert Struther enterre son cheval qui vient de tomber raide mort au cours d’un périple qui se voulait salvateur. Cet ancien marchand d’art se met à débattre de son passé dans un élan beckettien, sa vie qu’il a construite autour de la constante recherche d’authenticité – un fiasco. Et presque à deux voix, dans une schizophrénie progressive, le personnage s’affaisse dans son propre désespoir, dans son propre trou, sa tombe. Sur fond d’une profonde remise en question d’un homme mur, ce monologue est plus de l’ordre d’une expression que de celui d’un spectacle.
Begrabt mein Pferd in la Mancha est une adaptation en langue allemande de la pièce en langue anglaise Kicking a dead horse de Sam Shepard, écrivain, scénariste, acteur et réalisateur américain qu’on ne présente plus. À sa création en 2007, il disait lui-même de ce texte qu’il s’agissait d’un show presque clownesque.
La mise en scène est assurée par Anne Simon et l’interprétation par Steve Karier. Un texte, un comédien et une metteuse en scène qui s’ajustent parfaitement. Cette pièce époustouflante n’a malheureusement été jouée que deux fois, les 18 et 25 novembre derniers sur les planches des Capucins, mais heureusement elle s’inscrit dans un large projet à deux volets autour de cowboys désillusionnés et de chevaliers perdus, un pont sera créé avec Don Quijote, sur lequel pourront passer les spectateurs le 8 mars prochain. Les deux parties du projet seront alors présentées au public sur les scènes respectives du théâtre des Capucins et du TNL.
Mais pour en revenir à cette première partie, sur scène, un implacable Steve Karier révèle une absolue précision de jeu et un dynamisme, une force à faire pâlir les plus grands acteurs européens – il n’a rien envier à un Lars Eindinger. Il faut néanmoins souligner que le texte de Shepard lui est taillé sur mesure. Car il peut en effet raconter son histoire, celle d’un homme qui ne se glisse pas facilement dans son état vieillissant – sa crise, mais il lutte avec ses propres démons, passe en revue ses actions, tous les rêves qu’il a pu avoir, ses amours, son mariage en pleine dissolution. Il peste, peste contre tout, la mort du cheval, contre ce trou, si difficile à creuser, le monde qui l’entoure, qui a tellement changé et qui ne lui ressemble plus, et puis il s’ennuie aussi, attend que les choses se passent, qu’elles prennent leur cours. Mais au-delà de sa propre personne, le personnage de ce texte habilement traduit vers l’allemand et habilement adapté ici, transfigure et dépeint l’histoire d’un pays combatif – dignes et arrogants États-Unis d’Amérique, qui s’essoufflent au vu et au su du monde que jadis, ils faisaient trembler, de peur mais aussi de respect. Cette entité désormais perdue réapparaît sous forme de spectre, celui d’une jeune femme drapée dans le célèbre drapeau à étoiles.
Cette pièce est un coup de tonnerre dans le paysage théâtral luxembourgeois et mériterait de tourner indépendamment de la suite. Elle souligne aussi l’intelligence et une certaine maturité de la metteure en scène, qui cette fois-ci a su être entièrement à l’écoute, aussi bien de ce long monologue ainsi que du caractère si vivace et précis du comédien. Mais elle a su aussi s’entourer convenablement, d’une part d’Emre Sevindik, compositeur, qui une fois de plus a su pertinemment doser l’environnement sonore afin d’accompagner toute cette expression et l’articuler en une successions de scènes presque cinématographiques. Et d’autre part, d’Anouk Schiltz, la scénographe qui a créé un décor de paysage désertique accidenté et ce faisant a su accentuer cette permanente lutte entre les deux esprits qui habitent Hobart Struther et qui se livrent un véritable dialogue de survie – l’esprit cynique contre l’esprit ingénu et au milieu la carcasse imposante du cheval – la carcasse du rêve américain.