Il fallait être bien naïf pour croire qu’après les révélations d’Edward Snowden, les autorités américaines allaient mettre leurs agences de renseignement et d’investigation au pas et les contraindre à davantage de respect de la sphère privée des citoyens. Une récente audition de représentants du FBI par deux sénateurs membres de la Commission des lois a révélé l’approche remarquablement intrusive de l’agence policière fédérale en matière de déploiement des simulateurs cellulaires dans les lieux publics.
Appelés « stingrays », ces appareils se substituent momentanément aux relais des réseaux téléphoniques mobiles et recueillent les localisations et identités des appareils connectés dans leur zone de couverture. Le Federal Bureau of Investigation estime qu’un mandat judiciaire n’est pas requis lorsque ses agents utilisent de tels simulateurs dans les lieux publics, au motif fallacieux qu’il n’y aurait pas véritablement de sphère privée dans les lieux publics.
Les deux sénateurs, Patrick Leahy et Chuck Grassley, s’en sont émus et ont écrit au ministre de la justice Eric Holder et au responsable de la sécurité intérieure Jeh Johnson. Dans leur lettre, ils déclarent que le FBI estime échapper à l’obligation d’obtenir un mandat judiciaire en cas de danger immédiat pour la sécurité publique, lors de la recherche d’un fugitif ou en cas d’utilisation « dans des lieux publics où de l’avis du FBI il n’y a pas d’expectative raisonnable de sphère privée ».
Avec des critères aussi flous, il est évident que les agents fédéraux ne se donneront pratiquement jamais la peine d’obtenir un mandat, certains qu’ils s’estimeront de pouvoir facilement justifier l’usage d’un stingray a posteriori en cas de contestation. D’après le Wall Street Journal, ces stingrays, aussi connus sous l’appellation ISMI catchers, sont parfois déployés depuis de petits avions, donnant ainsi accès aux données de dizaines de milliers de téléphones portables.
L’argument des autorités américaines selon lequel il n’y pas de « privacy » dans les lieux publics est particulièrement alarmant. Il fait fi du secret de la correspondance. Pour s’approprier des données privées, il se réfère à une notion de lieu public qui n’est plus pertinente aujourd’hui, alors que pratiquement tous les citoyens se déplacent à tout moment avec dans leur poche un téléphone truffé de ressources auquel ils vont confier des données potentiellement très sensibles et à travers lequel ils vont avoir des échanges confidentiels.
Face à de tels abus, il reste à espérer qu’une jurisprudence y mettra de facto le holà lorsque des accusés feront valoir lors de procès que les preuves recueillies contre eux ont été rassemblées de manière illégitime, au cours de « fishing expeditions » caractérisées.
C’est ce qu’avance un juriste de l’Electronic Frontier Foundation, une des principales organisations américaines de défense de la sphère privée. Hanna Fakhoury fait valoir que neuf États ont adopté des lois qui contraignent la police à obtenir un mandat pour suivre un téléphone cellulaire en temps réel. L’IMSI catcher est d’autant plus inquiétant qu’il peut être assimilé à un vaste filet dérivant. Alors qu’une écoute ciblée se contente de capter les échanges de ou vers un ou plusieurs téléphones clairement identifiés, ce dispositif emmagasine des quantités considérables de données relatives à des personnes qui séjournent ou passent par hasard dans l’aire de capture. L’absence de mandat suggère aussi qu’il n’y aura pas de contrôle sur le sort des données ainsi accumulées, et voilà de vastes quantités de données emmagasinées, « à toutes fins utiles » et ad vitam eternam, sur les serveurs du FBI. Les agences amércaines ne sont probablement pas les seules à avoir de tels filets dérivants dans leur besace. La vigilance est de mise.