Leurs enfants s'appellent Kevin, Max ou Samantha. Les maris sont tous banquiers, sauf un, qui est vendeur de bibles. Les femmes, en général, ne travaillent pas, mais aiment d'autant plus les parties de jambes en l'air. Des femmes épanouies, d'autres dépressives. À les entendre parler des choses les plus futiles avec le plus grand soin du détail - jusqu'au nom des marques de sous-vêtements ou des magasins où ils les achètent, à les voir se morfondre ou se tordre de pleurs pour un oui ou pour un non, on se dit que tous ces personnages, on pourrait très bien les connaître ou le rencontrer au magasin du coin. Ils voteraient libéral que ça n'étonnerait personne. Ce sont les personnages qui peuplent Le premier mardi de chaque mois nous sommes heureux, la nouvelle pièce de Marie-Claire Junker, qui était déjà l'auteure de L'enfant des nuages, récit douloureux d'une femme qui perd son bébé (interprété au même Centaure par Myriam Muller).
On dirait que depuis lors, la vie de Marie-Claire Junker s'est égayée. Car Le premier mardi de chaque mois nous sommes heureux est avant tout une comédie. Comme dans un confessionnal où les personnages qu'elle a inventés - ou observés dans son entourage - viennent se mettre à nu devant l'auditoire. Bien sûr qu'elle est « fille de... », Marie-Claire. Ce qui aide pour voir ses pièces mises en scène. Mais elle commence à inverser les rôles, à faire de sa mère, Marja-Leena, une « mère de... ». Car elle possède un don d'observation très développé. Elle regarde les gens, les Luxembourgeois loufoques, banals, dépressifs, bourges, blasés, ordinaires, obsédés ou un peu paumés.
Au centre de leurs préoccupations, il y a toujours un couple qui foire : un divorce, une séparation, un abandon, une aliénation. Entre l'homme et la femme - aucun récit d'une relation homosexuelle par exemple -, il y a parfois des enfants, qui sont une raison supplémentaire de discorde : on n'en veut pas, ils posent des problèmes de droit de garde, on se les dispute.
Toutes ces histoires, Marie-Claire Junker les fait raconter par ses personnages : il y a Rose la dépressive (Mady Durrer, très juste), Pierre-Henri-René-Marie le militant de droite (Christian Kmiotek), Benjamin le vendeur de bibles (Stefan Alexis, en grande forme), Laila la nymphomane (Myriam Muller, meilleure que jamais), Nadine qui s'ennuie avec son mari (Sonja Neuman, nouveau visage au Centaure, prometteuse bien qu'encore un peu hésitante) ou Fabrice l'hypochondriaque coincé qui ne comprend plus sa femme (Alain Holtgen).
Sur scène, ils se suivent, les acteurs changent plusieurs fois de peau derrière le ciel nuageux en demi-cercle - encore un de ces décors astucieux dont Soivi Nicula semble avoir le secret - devant lequel quelques-uns des personnages en peignoir font lea figurants, comme un deuxième auditoire. Forcément, on pense alors tout de suite à l'excellent Noirs Paradis de la Finlandaise Rosa Liksom, également une suite de monologues dont Jacques Herbet avait assuré la mise en scène/ mise en espace au Dierfchen en mai 1998.
Mais Marie-Claire Junker n'a pas le même caractère que Rosa Liksom, elle ne vit pas en Finlande non-plus - bien qu'elle y ait des liens familiaux. Car là où Noir Paradis était caustique, avec un humour noir acerbe, Le premier mardi... serait plutôt attendri, plein de sympathie pour les personnages qui peuplent cet univers.
Bien sûr qu'on rit beaucoup - d'ailleurs le public est le plus enthousiaste lorsqu'il peut s'identifier aux personnages, reconnaître son entourage directe, lorsqu'on parle au premier degré des voyages LuxairTours, de RTL Hei Elei et du Top Thema, du Cora Messancy, des robes de mariée Pronuptia, des bagues de chez Molitor et des hôtels de passe de luxe à la Cloche d'Or. Cela fonctionne alors un peu comme une soirée de cabaret, où les habitudes de messieurs-dames les Luxos sont un peu exagérées et ridiculisées. Sauf justement que Marie-Claire Junker aimes ses caractères, qu'elle semble même réellement aimer la vie au Luxembourg.
Le premier mardi de chaque mois nous sommes tous heureux est une agréable soirée de divertissement léger, un peu redondante par moments, mais qui vaut le détour aussi pour le plaisir que prennent les acteurs au jeu. Notamment Myriam Muller, visiblement à l'aise à jouer la salope fière de ses tromperies, ou l'intello blasée qui se plaint de son con de mec qu'elle vient de larguer. Tellement mieux que ces éternels rôles de sainte vierge frêle dans laquelle on l'a trop souvent cantonnée.
Le premier mardi de chaque mois nous sommes tous heureux de Marie-Claire Junker ; mise en scène par Jacques Herbet ; décor et costumes : Soivi Nikula ; lumières : Véronique Claudel ; avec : Stefan Alexis, Mady Durrer, Alain Holtgen, Chris-tian Kmiotek, Myriam Muller et Sonja Neuman. Prochaines représentations ce soir et demain, ainsi que les 2, 3, 5, 6, 9, 10, 12, 13 et 16 mai à 20 heures ; le 30 avril et les 4, 7, 11, 14, 18 et 21 mai à 18 heures 30 au Théâtre du Centaure ; 4, Grand-rue ; Luxembourg ; téléphone pour réservations : 22 28 28.