Récemment, le Centre national de l’audiovisuel (CNA) a édité un livre illustrant une partie du travail photographique de Norbert Ketter (1942-1997). Basé sur une donation, ce volume reprend essentiellement la photographie de paysage1 et une partie de la documentation sur l’industrie sidérurgique que Ketter a photographiée pendant la première moitié de sa carrière. Très tôt, Norbert Ketter est traité comme un Wunderkind de la photographie au Luxembourg. Il suffit de relire Ed Kohl dans les colonnes du Lëtzeburger Land qui annonce avec fierté que son ami photographe a été le premier étranger à recevoir le Folkwangleistungspreis à la fin de ses études en février 1967.
Cette distinction conclut des études que Norbert Ketter a faites sous l’enseignement de Otto Steinert à Essen entre 1961 et 1967. Son travail de fin d’études, qui porte sur la représentation du paysage dans la préhistoire de la photographie (1840-60), explique essentiellement son approche personnelle promue par son mentor Steinert.2 Pendant les vingt années qui suivent, on constate une préférence de Ketter pour une dramaturgie des ciels rapportés comme les réalisait Gustave Le Gray à l’époque du Second Empire.
Le fait de réexposer le ciel sur un tirage photographique en chambre noire en lui donnant ainsi une présence impressionnante, mais souvent invisible à l’œil nu est un des trucs classiques de l’opérateur en chambre noire, Ketter l’utilise systématiquement en combinaison avec des filtres colorés lors de la prise de vue. Une prise de vue réalisée exclusivement sur pellicule noir et blanc. À une époque ou la photographie prend un caractère contemporain en se démarquant des pionniers modernes comme Ansel Adams ou Edward Steichen et en s’orientant vers une nouvelle neutralité du paysage en y intégrant le document en couleur, Ketter reste étranger à cette évolution.
Mais il est vrai que le fait de pratiquer une photographie indépendante et non commerciale au Luxembourg pendant la fin des années 1960 et le début des années 1970 était un acte solitaire. Ainsi, en octobre 1976, Ketter expose une série de portraits photographiques d’enfants handicapés mentaux sous le titre de Sou wéi mir sin... au foyer du Nouveau Théâtre de Luxembourg. Cette exposition lui vaut une série de lettres de protestation « disant que ces photos étaient dégoûtantes ».3 Une expérience de plus qui contribue à isoler cet homme au caractère sensible et fragile. Mais Norbert Ketter n’est pas le seul élève de Steinert qui est revenu vivre et travailler au Luxembourg. Romain Urhausen l’a précédé d’une dizaine d’années et l’analyse critique du travail de Norbert Ketter pourrait bénéficier d’une étude comparative avec celui de Urhausen qui a été le premier élève à terminer ses études en photographie à la Folkwangschule de Essen. Tout comme Ketter en 1969 avec Esch, Urhausen a publié un livre photographique sur le même sujet, avec des textes de Nic Weber, intitulé Die Stadt / Notre ville en 1961.
La nouvelle monographie du CNA sur Norbert Ketter est publiée sans qu’il y ait une exposition des tirages photographies qui ont été donnés par les héritiers du photographe au CNA en 2001. Le titre Pays Sage est une allusion au livre Paysages Norbert Ketter Visages sorti aux éditions Binsfeld en 1981. En 1967, Jean-Paul Raus est plus critique lorsqu’il ne fait que nommer les « sages photos de Norbert Ketter » dans son compte rendu sur l’exposition estivale de la Consdorfer Scheier.4 En décembre 1981, Norbert Ketter compose une exposition de 120 photographies à la Galerie d’art municipale de la Villa Vauban. Ses attentes sont grandes mais elles seront déçues. Il n’arrive pas à vivre de son travail qu’il abandonne pour les prochaines dix années. Le travail photographique de Ketter est inséparable du récit d’une biographie dont Yann, l’un de ses deux fils, évoque le côté « complexe, fragile, terrorisé, hanté, tourmenté, souffrant ».5 Le livre reproduit plus de 200 tirages réalisés par Norbert Ketter lui-même, des images précédées de textes composés par Nico Helminger et Guy Rewenig qui rendent hommage à un des personnages qui ont marqué leur vision du Luxembourg. Vera Langers procède à une mise en contexte des images dans l’œuvre du photographe.
Au début des années 1990 Norbert Ketter recommence la prise de vues et il expose : sa dixième et dernière exposition personnelle en 1995 est une rétrospective qu’il revendique avec la fierté d’un homme fatigué. Il s’arrête définitivement de photographier en 1997.