Selon une enquête récente réalisée par Ernst and Young 1 portant sur le choix de localisation des investissements étrangers, il apparaît que la qualité des infrastructures (de transport et de communication) est le premier critère retenu loin devant les coûts du travail et les impôts des sociétés (respectivement septième et neuvième rangs). Le résultat de cette enquête n’est pas une surprise. Elle vient corroborer de nombreuses études et publications scientifiques récentes 2.
Le constat précédent met aussi en évidence le rôle clef joué par les pouvoirs public dans l’attractivité de leurs sites domestiques, en particulier par des dépenses en infrastructures à vocation productive. À ce propos, citons le cas du Luxembourg qui est devenu en moins d’une décennie un centre mondial pour la distribution et le contenu numérique audiovisuel en attirant par exemple les géants Amazon, eBay et Vodafone. Ce succès tout en n’étant pas indépendant de considérations fiscales a aussi été tributaire de la haute qualité de ses infrastructures (publiques) de télécommunication 3 .
Les nations reconnaissent de plus en plus le rôle que jouent les investissements directs étrangers en tant que déterminant de la croissance et de l’emploi. On assiste de ce fait à une intensification de la concurrence mondiale dans l’attrait de capitaux étrangers comme cela ressort clairement du rapport d’Ernst and Young (2010). Une conséquence est que les États désireux de rester compétitifs dans l’attrait de capitaux étrangers devront consacrer à l’avenir une part grandissante de ressources budgétaires et humaines à des politiques d’attractivité tout en subissant une certaine concurrence fiscale internationale.
Dépendance des petites économies envers les investissements directs étrangers
Le problème de l’attractivité est d’autant plus présent que les économies nationales sont petites. Les carences en ressources physiques et humaines qui caractérisent les petites économies les incitent naturellement à faire appel à des apports étrangers en facteurs de production. Un regard sommaire sur des données internationales montre en effet que les économies dont la population est inférieure à un million d’habitants sont sensiblement plus dépendantes des flux d’investissements étrangers que les pays dont la taille dépasse les 30 millions d’habitants (voir la figure 1). Il est aussi intéressant de voir que pour les petits pays, le PIB par tête est positivement corrélé aux investissements directs étrangers. Ceci apparaît clairement dans la figure 2 qui est construite à partir d’un échantillon couvrant 71 pour cent des pays ayant une population inférieure à deux millions de personnes. Une telle relation n’est cependant pas vérifiée pour les grands pays.
Si le bien-être des petites économies semble hautement tributaire d’apports de capitaux productifs étrangers, il est légitime de s’interroger sur leur viabilité dans un contexte de concurrence accrue pour attirer des investissements directs étrangers. La petite population d’un pays est-elle alors une force ou une faiblesse ? Plus précisément, les petites économies peuvent-elle soutenir cette concurrence à plus long terme ?
Dans un travail récent 4, nous avons essayé de répondre à ces questions en recourant à un cadre d’analyse dynamique de la concurrence entre des économies de tailles 5 inégales. La question centrale s’est focalisée sur les conditions qui font qu’une petite économie est capable d’assurer sa pérennité économique. L’analyse a été réalisée dans une perspective de long terme négligeant ainsi délibérément des aspects conjoncturels.
Nous avons pour ce faire développé un modèle mathématique basé sur les outils de la théorie des jeux différentiels 6 afin de tenir compte du contexte stratégique et temporel de la rivalité entre des juridictions cherchant à favoriser l’implantation de firmes étrangères dans leurs sites respectifs. Dans un tel contexte, le rôle des gouvernements est crucial et les moyens utilisés peuvent être multiples. Le travail s’est limité à deux instruments 7. Les impôts sur les profits d’une part et d’autre part des dépenses publiques destinées à améliorer la productivité des entreprises privées. Ces dépenses sont par exemple destinées au financement d’infrastructures de transport et de communication, la recherche scientifique, mais aussi la mise en place d’infrastructures légales et réglementaires. En effet, selon le Oxford Handbook of Entrepreneurship (2007), le lieu de prédilection pour l’entrepreneuriat dépend parmi d’autres facteurs de l’existence de règles garantissant les droits de propriété, de normes comptables et d’exigences en matière de transparence. Dans les années récentes ont été publiées une multitude d’études montrant les liens positifs entre le développement économique et la qualité des institutions et en particulier des règles institutionnelles affectant le développement des marchées des capitaux 8.
Particularités antinomiques des petites économies
Notre réflexion tient compte de deux aspects contradictoires des petites économiques. Tout d’abord, nombreux sont les auteurs comme Simon Kuznets 9, lauréat du Prix Nobel qui considèrent que la petite taille d’un pays est un avantage. Par exemple, les problèmes d’action collective peuvent être résolus plus facilement dans les petits pays. La petite dimension favorise une plus grande détermination dans l’exercice de la politique économique ainsi qu’une réaction plus prompte face à des chocs exogènes. Ce degré de flexibilité est plus difficile à atteindre dans les grands pays du fait d’une plus grande hétérogénéité politique et sociale. En effet, face à des changements affectant l’environnement économique, les grands États manifestent une plus grande rigidité à revoir des paquets de mesures découlant de décisions collectives anciennes. Afin de prendre en compte cette différence comportementale dans la prise de décision publique, nous avons supposé que les autorités de la petite économie réactualisent périodiquement leurs décisions face à un environnement sans cesse changeant tandis que la grande économie se trouve contrainte par des engagements difficilement réversibles.
La petite taille n’a cependant pas que des avantages. Les petites économies sont caractérisées par un coût institutionnel élevé dans la fourniture de biens et services publics, sujets à la présence d’économies d’échelle. Par exemple, selon le Secrétariat du Commonwealth 10, la masse salariale publique médiane des petits pays est de 31 pour cent du PIB par rapport à 21 pour cent pour les grands pays développés. De plus, comme le remarque Paul Streeten 11, il s’avère difficile pour un petit État de recruter des fonctionnaires de haute qualité étant donné le pool limité de candidats potentiels. Afin de tenir compte de ces carences institutionnelles, nous supposons dans notre modèle que le petit pays souffre, à des degrés divers, d’un désavantage comparatif dans l’offre d’infrastructures productives. 12
Concurrence pour l’attrait de capitaux productifs et pérennité d’une petite économie
Notre analyse met en évidence deux sources de croissance potentielle. Une première est due à l’implantation 13 de nouvelles activités que l’économie domestique est capable d’attirer tandis que la seconde s’explique par la croissance de la productivité des entreprises résultant des dépenses en infrastructure. Le résultat essentiel du modèle est qu’il montre qu’à long terme, le potentiel économique de la petite économie peut augmenter, diminuer et même disparaître. Dans le long terme, la concurrence internationale des sites peut donc s’avérer dramatique pour la pérennité d’une petite économie.
Grosso-modo deux régimes peuvent être distingués selon le degré d’ouverture internationale mesuré par le degré de mobilité des capitaux.
Si la mobilité des capitaux est relativement faible, le petit pays pourra facilement baisser ses taux fiscaux face à ceux de son grand rival sans s’attendre à une réaction de grande ampleur de sa part. L’avantage fiscal comparatif qui en découle est alors suffisamment important pour que la petite économie puisse attirer des investissements directs étrangers et croître tendanciellement. Chose remarquable, la petite économie reste attractive bien que supposée relativement moins efficiente que son rival dans la mise en œuvre d’infrastructures.
Lorsque la mobilité des capitaux est relativement élevée, les conditions concurrentielles peuvent s’avérer néfastes pour la petite économie. En effet, si son désavantage institutionnel est trop important, le petit pays peut subir une perte d’attractivité internationale qui se concrétise par une réduction importante de son potentiel économique. Bien qu’offrant aux entreprises une fiscalité plus avantageuse qu’à l’étranger, le petit État n’est pas en mesure d’inverser cette tendance. A fortiori, une politique agressive de compétitivité fiscale n’arrangerait pas sa situation. En effet, il faut bien garder à l’esprit que les pays se concurrencent à l’aide de deux instruments, les impôts et les infrastructures. Si la mobilité des capitaux est suffisamment élevée, la concurrence fiscale est âpre. De ce fait, les taux fiscaux ainsi que leur différentiel seront faibles. La conséquence est que les recettes fiscales du petit pays deviennent tellement faibles qu’il n’est plus en mesure de financer un montant suffisant de dépenses en infrastructures. Par conséquent, l’attractivité du petit État en pâtit. Cette tendance peut atteindre son paroxysme par l’implosion économique du petit pays si la mobilité des capitaux est très élevée et sa capacité institutionnelle relativement faible !
Le fait que la petite économie soit mieux capable de s’adapter à un environnement économique changeant que son grand rival permet de rendre moins probable la survenue d’une contraction économique sans toutefois exclure cette éventualité. En d’autres mots, la plus grande flexibilité dont peut jouir une petite économie ne permet pas de compenser sa relative faiblesse en ressources institutionnelles.
Une concurrence internationale accrue pour l’attrait d’investissements directs étrangers pose un défi non négligeable aux petites économies. Étant sujettes à des carences d’ordre institutionnel, elles risquent de faire face à une contradiction. Sous la pression concurrentielle, elles sont amenées à alléger leur fiscalité pour des raisons de compétitivité, mais en même temps elles doivent augmenter les dépenses visant à renforcer l’attractivité de leur territoire.