Il n’y a pas plus subversif pour une place bancaire qu’un enfant : à l’âge de la maternelle, un billet de cent euros a pour lui la même valeur qu’une feuille morte, il peut tout aussi bien servir de papier pour bricoler qu’être oublié, tout rabougri, entre deux mouches et un peu de pâte à modeler dans un coin. « Une de nos missions est de ‘promouvoir l’épargne sous toutes ses formes’, explique Gérard Tanson, chef du service marketing de la Spuerkeess. Donc nous voulons aussi l’apprendre aux enfants, les sensibiliser peu à peu à la valeur de l’argent... »
Et cela dès le plus jeune âge. À partir de la première classe de l’enseignement fondamental – cycle 2.1 –, tous les enfants du primaire luxembourgeois sont invités aux Schoulspuerfest, qui consiste notamment en une représentation théâtrale au Grand Théâtre ayant lieu au printemps, différente chaque année et conçue par des artistes locaux, spécialisés dans le domaine du théâtre pour enfants. En ce moment, c’est une équipe autour de Tammy Reichling qui crée le spectacle annuel, toujours autour du thème de l’épargne. Les héros en sont les personnages issus de l’univers ludique conçu par la banque, dans le cadre du réseau européen des caisses d’épargne, notamment le petit Knax, bon épargnant, et ses amis qui habitent avec lui sur une île convoitée par les méchants voleurs. Ils sont entre 5 500 et 6 000 enfants à y participer chaque année et se verront remettre une petite tirelire carrée en porcelaine blanche que beaucoup de leurs parents ont encore à la maison, depuis leur propre enfance. La Spuerkeess organise ces fêtes de l’épargne depuis 1961, depuis 1975, ils ont lieu au Grand Théâtre, et depuis 52 ans, elle fait produire ces tirelires, réalisées à la main par Villeroy & Boch et légèrement adaptées chaque année – des collections entières sont exposées au musée interne de la banque. « Depuis le temps, ces tirelires sont devenues cultes ! » s’enorgueillit Gérard Tanson.
Qui insiste aussi que toutes les actions de la banque à l’encontre des enfants relèvent davantage d’un effort de sensibilisation pour promouvoir l’épargne et de développer une image de marque en créant tout un imaginaire que d’une action commerciale. Car le budget que la BCEE y investit est conséquent. Secret, mais conséquent, affirme-t-il, entre la création du spectacle, l’invitation à tous les enfants d’y participer, la location de la salle, la production des tirelires, les gadgets du Knax-Club auquel peuvent adhérer les zéro à douze ans, la bande dessinée et les communications que reçoivent ces jeunes membres, les sorties du club (cinéma, ferme biologique, ateliers...) et les bons d’épargne que reçoivent les bébés dès leur naissance. « Ce qui compte pour nous, c’est d’offrir une belle sortie aux enfants, notamment lors du Schoulspuerfest, explique Gérard Tanson. Pour beaucoup d’entre eux, c’est la première sortie avec l’école et le premier spectacle qu’ils voient au théâtre. Et c’est magique d’être parmi ce millier d’enfants par séance, j’y vais chaque année, rien que pour l’ambiance. Les enfants interagissent vraiment... » Le nombre exact des membres du Knax-Club est tenu secret, mais il s’agit de plusieurs milliers d’enfants – c’est le plus populaire de ces clubs du paysage bancaire.
La philosophie toutefois – toucher les enfants en créant un imaginaire collectif afin de capter leur attention et, éventuellement, en faire des clients plus tard – est la même pour les trois banques (BCEE, Bil, Raiffeisen) que nous avons contactées pour cet article. À la banque Raiffeisen, l’épargnant modèle était une abeille, Sumsi, également conçue dans le réseau allemand des caisses Raiffeisen, et elle se déclinait en bande dessinée et en gadgets. Mais entre-temps, dans le cadre de ses efforts de modernisation, la banque luxembourgeoise a abandonnée Sumsi (qui survit à l’étranger) afin de se concentrer sur son activité centrale en direction des enfants : le grand concours de dessin. Tous les enfants de l’enseignement fondamental (dès la maternelle) et du secondaire, quel que soit leur âge, sont invités à participer à ce concours thématique annuel. Au primaire, l’invitation passe par les communes et les écoles – avec l’aval, comme pour les Schoulspuerfest de la BCEE, du ministère de l’Éducation nationale –, alors qu’au secondaire, ce sont les jeunes eux-mêmes qui décident s’ils veulent y participer ou non. À l’arrivée, après plusieurs niveaux de sélection, ils peuvent gagner des prix (billard, vélos, iPhone), remis lors d’une cérémonie festive là aussi. Mais tous les enfants, les 26 000 participants, reçoivent aussi un gadget pour les remercier de leur contribution. Au printemps dernier, il s’agissait d’un buff aux couleurs de la banque, que beaucoup d’enfants portent encore autour du cou dans les cours de récréation.
« Il s’agit bien sûr aussi d’un gros budget et d’une organisation conséquente pour la banque, avoue Jean-Louis Modert, chef de projet de la coordination commerciale et de la communication à la Raiffeisen. Mais cela contribue de manière essentielle à développer le capital sympathie de notre banque et de fidéliser nos clients. » Comme pour les autres banques, la Raiffeisen offre elle aussi un bon (de trente euros) à l’enfant dès sa naissance, puis des produits-épargne aux taux avantageux, dont les formules sont développées en collaboration avec les parents, tuteurs de l’enfant jusqu’à ses 18 ans. La loi interdit un démarchage actif des clients mineurs, surtout des enfants, et la banque s’est en outre donnée des balises pour ses actions pour les jeunes clients. « L’essentiel pour nous, avec ce concours, c’est d’offrir un moment plein d’émotions aux enfants, » insiste Jean-Louis Modert, qui affirme aussi que la banque a un « taux de rétention » et un « indice de fidélité » très élevés parmi ses clients, et que même souvent des clients qui avaient un compte enfant reviennent plus tard, à l’âge adulte, pour réactiver leur compte et, par exemple, contracter un crédit.
Beaucoup de trentenaires et de quadras d’aujourd’hui se souviennent encore d’un autre personnage bancaire de leur enfance : Billy. « Cet écureuil brun avec une casquette orange et un survêtement rouge et blanc – si mes souvenirs sont bons –, était pour moi synonyme de jeux, musique et animations. Je me souviens très bien de ses pattes qui serraient les mains de dizaines d'enfants qui, comme moi, étaient venus pour jouer, » raconte l’une d’entre elles. Et de se souvenir des après-midi de jeux aux « Billy-Club », de Georges Christen, « l’homme le plus fort du monde » et ami de Billy, et aussi des tombolas colorées... La Banque internationale à Luxembourg – Bil, avait réussi à créer, dès la fin des années 1970, tout un imaginaire autour de cette mascotte sympathique, symbolisant là aussi l’épargne, et qui, en collaboration avec la Sécurité routière, sensibilisait même les enfants à la sécurité sur leur chemin d’école.
Puis, personne ne sait plus vraiment pourquoi, Billy est mort, tout comme le Super-J et ses soirées et concerts de rock pour les ados. Il y eut la période Dexia-Bil et des actions spécifiques en direction des enfants orchestrés par le groupe. Or, voilà que depuis 18 mois, la banque a rechangé de nom et affirme désormais à nouveau plus fortement son identité luxembourgeoise et la proximité avec ses clients locaux. C’est dans ce contexte qu’est née l’idée de ressusciter le principe d’une mascotte et d’un club pour enfants. Un concours d’idées et de dessins a été lancé – et, oh surprise, 75 pour cent des participants proposaient... un écureuil. « Nous avions réfléchi en interne aussi, explique Raoul Stefanetti, responsable du réseau d’agences et du Billy Club à la banque, et l’écureuil était une option, mais pas la seule. » Puis l’idée a été développée en collaboration avec une agence et depuis la rentrée, le personnage violet accueille les jeunes clients sur la page dédiée de la banque. « Nous avons été surpris par le succès de cette action, affirme Raoul Stefanetti. En l’espace de trois semaines, nous avions plus de mille nouveaux membres, comme si les parents n’avaient attendu que ça. »
Gadgets déclinés aux couleurs et ornés de l’effigie de Billy, installation de coins de jeux adaptés dans les agences, concours interactifs, par exemple de dessin,... autant de possibilités pour la banque, là aussi, de développer son image et de fidéliser des clients. « D’ailleurs moi-même, j’étais un adepte de Billy durant mon enfance, se souvient Raoul Stefanetti, j’écoutais la musique de Billy, il y avait des autocollants à son effigie sur mes meubles, j’étais membre du club... » Puis, après une pause, il ajoute : « C’est d’ailleurs probablement à cause de Billy que je travaille ici aujourd’hui ».