La place du marché, dans le centre-ville d’Echternach, est plutôt calme sur les coups de 19 heures. En ce samedi 27 février, le centre culturel Trifolion accueille les derniers retardataires. Au programme ce soir, deux trios de jazzmen. L’indéboulonnable Reis-Demuth-Wiltgen Trio, suivi du Yonathan Avishai Trio. La formation du pianiste franco-israélien a été programmée en remplacement de l’Enrico Pieranunzi Italian Trio, dont la venue a été remise en cause par les injonctions que l’on sait. Lorsque Marc Demuth, Michel Reis et Paul Wiltgen montent sur la scène de l’Atrium, l’auteur de ces lignes est immédiatement confronté à une certitude, suivie d’une légère inquiétude. La certitude d’assister à un concert de qualité d’abord, tant-il est vrai que les trois Luxembourgeois ne déçoivent jamais ou si peu souvent. Puis, l’inquiétude de ne rien trouver de nouveau à dire puisque tout, ou presque, a déjà été dit à leur sujet et sur leur musique.
Dès les premières minutes, un sentiment de familiarité s’installe. Leur style mélodique si singulier raisonne dans la salle et dans les têtes de celles et ceux qui ont déjà pu les voir et les entendre jouer sur une scène. Les trois compères enchainent des morceaux extraits de leur nouvel album Sly (paru chez Cam Jazz). Cette musique si reconnaissable, pas loin du déjà-vu, arrive à surprendre. Même si ce nouvel opus, qui s’inscrit dans le sillon tracé par leurs précédents projets, ne renouvelle pas le genre, il agrandit encore leur palette de couleurs musicales. Par ailleurs, trois clips très réussis réalisés par Émile V. Schlesser ont été diffusés sur YouTube à quelques semaines d’intervalle. Dans Diary of an unfettered mind et No storm last forever, on voit, tour à tour, les artistes jouer frénétiquement dans un environnement ultraviolet et être attaqués par des pointeurs lasers, puis se déchaîner sous une pluie de confettis dorés. Sur VIRAL enfin, on admire des images en gros plans encerclés. Une esthétique foisonnante retransmise par le pianiste, le batteur et le contrebassiste sur les planches d’Echternach.
À l’entracte, beaucoup de visages familiers. Les artistes sont salués de toutes parts. La seconde partie de soirée est assurée par Yonathan Avishai au piano, Yoni Zelnik à la contrebasse et Donald Kontomanou à la batterie. Il faut d’ailleurs voir les tronches tirées par ce dernier pour le croire. Le visage du percussionniste devient un instrument à part entière. Il fait partie de ces musiciens ultra expressifs, jouant à pleines dents, aux sourires communicatifs et aux yeux plissés se contractant davantage à chaque reprise ou mouvement un tantinet acrobatique. Après chaque morceau, il pose ses partitions à terre et abreuve son pupitre de nouvelles antisèches, sur lesquels il ne posera pourtant jamais aucun regard, aussi furtif soit-il. Yoni Zelnik n’est pas en reste. Il est comme absorbé par les vibrations des cordes de sa contrebasse. Le visage vers le ciel, les yeux clos et la bouche grande ouverte, il communie avec son instrument pour des numéros maitrisés et sans extravagance.
Yonathan Avishai quant à lui, joue sans fausse note, tout en sobriété. Lorsqu’il prend la parole, humble, il rend hommage au regretté Chick Corea et répète à trois ou quatre reprises à quel point ce concert est « spécial » pour lui. Le trio reprend des standards de Cole Porter ou de Duke Ellington. Malgré un passage mollasson vers le milieu du set, la simplicité de la performance laisse un gout agréable à l’audience.