Il fait beau. À côté de la maisonnette de réception du camping de Steinfort, Anita Kramer, la gérante, profite de cette belle après-midi d’été indien pour repeindre des chaises devant la porte. Sur le camping, il règne une ambiance paisible de fin de saison, les premières feuilles mortes dansant sur la pelouse, les derniers touristes tenant compagnie aux résidents permanents, qui aiment le camping – ou n’ont tout simplement pas les moyens de s’acheter une maison. D’ici trois ans, Anita Kramer prendra sa retraite, le camping sera fermé et le Fonds de logement y construira un grand projet de logements sociaux. « Mais plusieurs clients étaient déjà partis, j’avais des emplacements libres, alors j’ai voulu aider le ministère de l’Intégration, qui cherchait des endroits où loger des demandeurs d’asile, » raconte-t-elle. Et qu’il n’y a pas eu de problème notable depuis leur arrivée cet été, que quelques autres clients s’étaient certes renseignés sur leur présence, mais qu’elle leur a assuré qu’ils étaient tenus à respecter le même règlement que tout le monde sur l’hygiène, le silence nocturne ou l’utilisation des infrastructures communes...
Une fontaine ruisselle, des enfants jouent dans la cour, un peu plus loin, deux grandes tentes blanches au centre d’une parcelle, devant lesquelles plusieurs familles, parents, grands-parents et enfants, discutent assis par terre ou sur des chaises en plastique, leurs quelques affaires sont proprement rangées sous les lits de camp alignés sous les tentes... Une grand-mère coiffe les cheveux noirs de sa petite fille, des hommes boivent un café ; ils offrent immédiatement une chaise à la visiteuse, sont ouverts, accueillants. Et racontent qu’ils ont surtout froid la nuit, car les tentes ne sont pas chauffées et les températures descendent à quelques degrés seulement, qu’ils étaient au Don Bosco avant, où, même avec beaucoup trop de monde, c’était beaucoup mieux, « car il y avait tout, alors qu’ici, il n’y a rien ». Tous ici sont originaires de Serbie et de Macédoine, ils sont une cinquantaine en tout, ils sont Roms et ont fui le chômage, la misère et les discriminations vers le Luxembourg « parce que ceux qui étaient ici ont dit que c’était bien. » L’abolition de l’obligation des visas a facilité le voyage. Ils sont ce que la politique appelle des « réfugiés économiques ».
Entre janvier et fin août 2011, 1 274 personnes ont déposé une demande de protection internationale au ministère de l’Immigration, trois fois plus que sur les années 2007 ou 2008 tout entières. Parmi ces demandeurs, 42,62 pour cent étaient originaires de Serbie et 17,03 pour cent de Macédoine (chiffres : ministère). Les procédures d’analyses des demandes prenant plusieurs mois, voire plusieurs années, les capacités d’accueil dans les foyers pour demandeurs de protection internationale étaient atteintes en début d’année déjà. Le foyer Don Bosco au Limpertsberg par exemple, qui assure le premier accueil des nouveaux arrivants et a une capacité de 150 lits en temps normaux, loge actuellement 230 personnes – ce qui implique une extrême promiscuité et l’abandon de toutes les salles communes ou d’activités. Les autres foyers gérés par la Croix-Rouge, comme ceux de Rédange ou de Eich, sont également complets.
Le recours aux campings est une solution d’urgence, provisoire, mais la seule que les responsables de la Croix-Rouge et du ministère aient trouvée à brève échéance. Depuis début août, les campings de Steinfort et d’Echternach accueillent des demandeurs de protection internationale ; cette semaine, l’armée, la protection civile et la Croix-Rouge ont également installé des tentes et livré des lits de camp et des sacs de couchage à Medernach et au Mullerthal. Si tout le monde est conscient qu’il ne s’agit pas là ni de bonnes solutions ni de logements durables, c’est la seule qui ait pu être trouvée dans l’urgence. À moyen terme, les tentes pourraient être remplacées par des mobilhomes, qui auraient au moins l’avantage de pouvoir être chauffés.
« Quand ils arrivent chez nous, explique Nadine Conrardy, en charge du service premier accueil des migrants et réfugiés auprès de la Croix-Rouge, nos priorités sont d’abord de trouver un logement et de la nourriture, puis d’assurer un suivi médical, car beaucoup d’entre eux sont malades, et ensuite nous occuper des papiers et de la scolarisation des enfants. »
La cellule Coordination de la scolarisation des enfants étrangers du ministère de l’Éducation nationale connaît la même urgence : on y a enregistré une croissance de quinze pour cent de nouveaux arrivants par rapport à l’année dernière – à côté des Roms des Balkans, il y a aussi une nouvelle vague d’immigration en provenance du Portugal. « Notre priorité est toujours l’intégration des enfants dans les classes régulières, » souligne la cheffe de service Marguerite Krier. Afin de rendre cette intégration possible, les enfants qui ne parlent aucune des langues du pays sont d’abord inscrits dans des « classes spécialisées d’accueil de l’État » pour faire un bilan des compétences existantes et une mise à niveau linguistique, avec l’objectif de les intégrer ensuite dans l’enseignement classique. En ce moment, la moitié des enfants scolarisés dans ces classes d’accueil sont des demandeurs d’asile. Si l’école est obligatoire jusqu’à seize ans, la scolarisation des enfants n’est toutefois pas une garantie pour que eux et leurs familles puissent rester au Luxembourg.
Selon le nombre d’enfants à scolariser, le ministère décide alors soit de les intégrer dans l’enseignement luxembourgeois, l’école fondamentale la plus proche ou le lycée le plus adapté, soit d’ouvrir des écoles spéciales, comme c’est le cas à Weilerbach depuis longtemps, à côté du Don Bosco depuis 2010 et à Hollenfels depuis cette rentrée (pour les enfants qui vivent au Marienthal). Le ministère met à disposition et encadre les enseignants et leur offre des formations spécifiques. « Parmi ces gens qui viennent, beaucoup n’ont jamais été à l’école, ont des problèmes de santé et n’ont pas été traités très bien chez eux, résume la ministre de l’Intégration Marie-Josée Jacobs (CSV). Ils cherchent un meilleur avenir pour leurs enfants, ce qu’on peut comprendre. »
Ce qui impressionne le plus en parlant à quelques-uns de ces demandeurs de protection internationale, c’est leur extrême dénuement, leur pauvreté : ils n’ont rien amené, ils n’ont pas de bagages, ils ne possèdent rien. Même pas de vêtements convenables pour envoyer leurs enfants à l’école, ni d’argent pour payer du matériel scolaire comme des cartables, des cahiers, des crayons ou un maillot pour le sport. Le maire socialiste de Steinfort Guy Pettinger, qui estime que « ces gens ont leur dignité, il faut les respecter » promet qu’une visite sur le camping du village en compagnie de l’assistante sociale de ses services est prévue dans les prochains jours et que la commune compte offrir ces équipements de base aux enfants pour qu’ils puissent au moins rejoindre l’école. Néanmoins, la commune de Steinfort refuse d’enregistrer les personnes logées sur des campings, et ce depuis 1993, ce qui constitue un problème de papiers pour les demandeurs d’asile.
Or, si le maire de Steinfort affirme que sa commune a voulu « prendre ses responsabilités sociales » en acceptant que des demandeurs d’asile soient logés sur le territoire de la commune, il n’en est rien dans la plupart des autres communes du pays. L’opposition virulente des résidents de Bollendorf-Pont contre l’arrivée de Roms dans un hôtel du village en début d’année n’a pas facilité les négociations du ministère avec les édiles communaux, surtout en amont des élections communales du 9 octobre. La pauvreté fait peur, les Luxem[-]bourgeois semblent craindre qu’elle soit contagieuse – ou que sa proximité contribue à la dépréciation de leurs propriétés. Et peu ou prou de maires osent faire un geste de solidarité fort en soutenant, voire en offrant des foyers sur leur territoire. La recherche d’immeubles ou de terrains est bloquée depuis au moins un an, et ce malgré la disponibilité d’objets éligibles, échouant à chaque fois face à l’opposition des résidents ou de la commune, voire des deux.
En début d’année, le Syvicol (le syndicat des villes et communes du Luxembourg) a même contacté toutes les communes du pays pour les inciter à participer à l’effort de solidarité nationale – sans succès. Alors il y a ceux qui, comme l’Asti (Association de soutien aux travailleurs immigrés), proposent l’introduction d’une sorte de quotas, chaque commune devant être forcée d’accueillir un certain nombre de demandeurs d’asile par rapport au nombre d’habitants – quelques grandes communes, comme Esch notamment, seraient alors largement dans le rouge, alors que d’autres, comme Berdorf, auraient largement dépassé leurs obligations. « Mais quels seraient nos moyens de pression pour réaliser cela ? » s’interroge la ministre Marie-Josée Jacobs, sinon quelques incitations financières. Et d’ajouter que beaucoup de propriétaires d’infrastructures, notamment d’hôtels, mais aussi des personnes privées, contactent le ministère dernièrement et lui proposent d’y loger des demandeurs de protection – c’est aussi un moyen de rentabiliser des infrastructures touristiques en mal de clients, car le ministère paye le loyer.
« Pour moi, il s’agit d’une question de solidarité et de responsabilité des communes, juge Dan Kersch (LSAP), maire de Mondercange et président du Syvicol. Nous avons signé la convention des Nations Unies sur les droits des réfugiés, alors nous devons assumer. » Toutefois, il est essentiel à ses yeux que les communes prennent de telles décisions sur base volontaire et non pas parce qu’on leur imposerait d’accueillir un certain nombre de demandeurs d’asile.
Pour remédier à la pénurie criante de logements, le gouvernement devrait prendre assez vite des décisions, dont la première sera de savoir s’il préconise de petites structures ou plutôt la construction de quatre ou cinq centres d’envergure plus grande, pour une centaine de personnes à chaque fois – avec toujours un risque de ghettoïsation. Ainsi, Mondercange par exemple, avait déjà pris une décision de principe, à l’unanimité du conseil communal, de transformer l’ancien presbytère en foyer d’accueil. Depuis, l’approche du ministère a changé, il négocierait désormais avec un hôtelier pour la restructuration d’un hôtel à Foetz en foyer plus grand.
Or, le temps que prennent les négociations au Luxem[-]bourg est diamétralement opposé à l’urgence de la situation : sous les tentes à Steinfort, à Mullerthal, à Medernach et à Echternach, les conditions de vie sont simplement indignes.