ASTI30+, le cadeau que l‘Asti a fait à la société luxembourgeoise

« Wir riefen Arbeiter und es kamen Menschen »

d'Lëtzebuerger Land du 07.04.2011

Pour son trentième anniversaire, l’Asti, l’Association de soutien aux travailleurs immigrés, a voulu « faire un cadeau à la société luxembourgeoise » sous forme d’un livre de plus de 300 pages, ASTI 30+. Après trois décennies d’engagement social et culturel et de revendications politiques, le lecteur attend un livre (typiquement Asti a-t-on envie de dire) au ton fort et aux revendications clairement formulées.

Loin d’être un récapitulatif de l’engagement de l’association ou un portrait du paysage social « multi-culti » du Luxembourg, cet ouvrage ressemble plutôt à un manuel universitaire. Dans cinq subdivisions, le livre traite, après les généralités, des aspects politiques, sociaux, économiques et culturels, différents points de vue et différentes études des problématiques de l’immigration et de l’intégration. Les auteurs, qui sont tous experts en leur matière, analysent, chacun sous son angle d’attaque, la question.

Après un moment d’étonnement devant la lourdeur de l’œuvre de la part du lecteur, cette approche interdisciplinaire se révèle une vraie richesse. En effet, le projet cherche à montrer « où on en est avec la recherche sur l’immigration et l’intégration », selon Serge Kollwelter, ancien président de l’Asti. 25 ans après le premier livre que l’Asti avait publié sur l’histoire et l’immigration au Luxembourg, il s’agissait de montrer les évolutions au niveau du savoir, au niveau des discours ainsi qu’au niveau des actes et de provoquer un débat qui « est trop sporadique et pas assez constant au Luxembourg ».

Ces changements n’étaient que les nécessaires conséquences d’autres réalités en constante mutation. Si, au début de son existence, l’Asti représentait les droits des travailleurs immigrés, elle se voyait rapidement confrontée à des vagues de réfugiés arrivant surtout à partir des années 1990. Le livre témoigne donc également des mutations globales auxquelles le Luxembourg (comme les autres pays) doit en permanence faire face et des solutions que le pays, dans le cadre de l’Union européenne, se donne le droit d’inventer afin de remédier à ces bouleversements qui déstabilisent trop souvent ses habitudes.

La citation de Max Frisch « Wir riefen Arbeiter und es kamen Menschen » fait allusion aux défis qui se posent aujourd’hui plus que jamais. Que ce soient les travailleurs portugais retraités, les réfugiés demandeurs de protection internationale, les enfants des immigrés, les frontaliers, autant de populations qui vivent parfois dans des conditions de précarité et qui exigent des réponses politiques. Hélas, ASTI 30+ ne revendique pas (directement), mais expose des faits et amène le lecteur à réfléchir. Si le livre fait le tour de la question, nous voulons nous limiter ici à quelques éléments et des observations transversaux.

Avec 44 pour cent d’« étrangers » sur le sol luxembourgeois, la situation est d’une urgence unique. C’est pourquoi le livre touche à plusieurs endroits, le sujet des droits de l’homme. Par rapport au droit de participation civique et en particulier le droit de vote, Nénad Dubajic souligne non seulement le déficit démocratique. De plus, l’auteur déplore aussi que « les débats publics sur la participation politique des étrangers sont inexistants, ou quand ils existent sont des arguments simplistes et commodes qui prennent le dessus et tournent à une opposition réductrice entre ‘Nous’ les autochtones et ‘Eux’ les étrangers » (p. 103).

ASTI 30+ se veut un ouvrage, qui se penche, non pas sur le passé mais qui regarde en avant. Son brassage d’idées dresse des perspectives multiples et variées pour la vie en société. Pour autant que le livre donne des pistes de réflexions, le lecteur à la recherche de réponses prêtes à l’emploi ne sera pas satisfait. À l’issu de la lecture, le terme d’intégration même reste vague. Alexia Serré avance que c’est « une problématique en perpétuelle redéfinition, qui s’élabore à la croisée d’une pluralité de mondes sociaux » et regrette que la définition légale de l’intégration « distribue inégalement les responsabilités des acteurs concernés » (p. 183). Alors que l’intégration est un « processus à double sens », il « revient ici en premier lieu à l’étranger, en tant qu’individu, de vouloir et d’entreprendre une démarche d’intégration dans un collectif préexistant ».

À partir de la notion d’intégration, certains auteurs arrivent à discuter les stratégies d’inclusion et d’exclusion. De nouveau, on fait le lien avec les droits de l’homme et en particulier le droit à l’égalité des chances. Dans sa contribution, Sonja Kmec montre que ces stratégies s’observent non seulement au niveau de la législation mais également au niveau des discours et des représentations. Ainsi, elle avance qu’« à partir du moment où l’on demande à une personne de s’identifier, on établit qui est l’étranger » (p. 297). Dans ce sens, tout est question de pouvoir, même le regard, celui de la société majoritaire sur l’Autre, qui devient une « image fantasmée » (p. 299), une projection de toutes sortes de ressentis et d’idées reçues.

Selon Kristine Horner et Jean-Jacques Weber, qui analysent les stratégies d’inclusion et d’exclusion au niveau du système éducatif luxembourgeois, la langue luxembourgeoise serait devenue la langue de l’intégration au point de « coloniser » le domaine éducatif. Au Luxembourg, l’approche officielle de l’intégration serait « explicitement assimilationniste » (p. 307) en ce qu’on attend des élèves qu’ils s’intègrent à travers le luxembourgeois. Ainsi nierait-on l’accès à l’égalité des chances à une partie des élèves, notamment les romanophones. Les auteurs rejoignent l’idée des relations subtiles de pouvoir en ce que le discours assimilationniste serait lui aussi un « discours hégémonique » qui façonnerait des « Luxembourgeois de deuxième classe » (p. 308).

Un autre domaine dans lequel s’opèrent des stratégies d’inclusion et d’exclusion est l’économie. Ainsi, Carlo Thelen souligne qu’« il existe une ségrégation importante au niveau de l’économie, voire de la société au sens large, selon les secteurs d’activités économiques » (p. 227). Si l’économie est un « vecteur d’intégration », cela n’empêche que le marché du travail soit fragmenté. C’est pourquoi l’auteur avance que l’intégration devrait passer par « des mesures politiques volontaristes visant à réduire la dualité, la dichotomie ou la ségrégation au niveau de l’économie » et qu’« une grande mixité du salariat est à même de répondre aux objectifs d’une cohésion sociale durable, visant à éviter la création de sociétés parallèles, voire un repli sur soi même au sein des différentes communautés » (p. 228).

Dans sa contribution, Jean Langers s’interroge sur la responsabilité d’une politique d’immigration sélective qui a longtemps favorisé d’abord une immigration faiblement qualifiée avant de viser une main d’œuvre qualifié. Ici, l’immigration est perçue comme un stock pourvoyant en main d’œuvre au service de l’économie luxembourgeoise. Les inégalités semblent structurelles, ce qui expliquerait peut-être qu’« une bonne frange de la population est tributaire des mesures de redistributions de l’État social » (p. 260).

Nous pourrions continuer à débattre les contributions d’ASTI 30+, mais nous nous arrêtons ici pour suggérer une lecture qui est une richesse pour celui qui aime naviguer dans mille mers. Si le lecteur peut regretter une conclusion, cette absence lui permet en même temps de tirer ses propres conclusions.

Titre d’après Max Frisch
Nathalie Oberweis
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