Un pré bien vert, des chevaux qui broutent. Un peu plus loin, les chauffeurs en herbe apprennent à faire un créneau ou une marche arrière ; de l’autre côté, la forêt invite à une promenade. Mais cette scène bucolique au Findel, à deux pas de l’aéroport, est trompeuse : car en face, il y a de solides grillages de quatre mètres de haut tout autour d’un bâtiment austère aux fenêtres microscopiques et muni de multiples mesures mécaniques et électroniques de sécurité. Une prison ? « Nous allons encore peindre les murs extérieurs de couleurs plus gaies, » indique Fari Khabirpour, le directeur des lieux lors d’une visite avec le Land mardi. Parce que pour lui, bien que ce soit sans conteste un centre fermé, « nous voulons que ça ressemble le moins possible à une prison ».
Or, pour le visiteur, il n’y a pas de doute que ce Centre de rétention est une prison. Avec un peu plus de possibilités de communication avec l’extérieur peut-être, mais une prison quand même, tout d’abord parce que ceux qui y logent sont de toute évidence privés de leur liberté et ne peuvent pas en sortir. Ensuite parce que sa finalité est le retour forcé du retenu vers son pays d’origine. Et finalement parce que de toute évidence, l’architecture des lieux est une architecture de l’enfermement : les chambres sont des cellules, assez petites (7,5 mètres carrés), équipées avec quelques rares meubles seulement, un lit, une étagère, un bloc sanitaire WC/ lavabo en acier innox, tout en matériaux difficilement inflammables1 ; elles seront fermées à clé entre 22 heures et 6 heures du matin.
Le bâtiment est organisé en quatre tracts ou unités – hommes seuls, célibataires, femmes, familles –, comprenant chacun seize chambres et une salle de séjour équipée avec une cuisine et une buanderie, ainsi que quatre douches communes par tract (adjacentes à la cuisine), et une cour extérieure par tract, compartimentée avec ces hauts grillages, le tout surveillé 24 heures sur 24 par des gardiens (employés du centre ou loués auprès d’une société de surveillance privée), dans leurs loges à grandes baies vitrées ainsi que par des caméras dont les images sont centralisées au poste de sécurité situé à l’entrée...
À toutes ces observations sur les limitations des libertés des futurs retenus dans ce centre, Fari Khabirpour, psychologue de formation, répond par un « oui, mais... » : lorsqu’il a rejoint le projet fin 2007 (d’Land 42/08), le projet de loi sur la construction du bâtiment, qui aura coûté quelque 12 millions d’euros, avait déjà été adopté au parlement, mais il a néanmoins réussi à obtenir quelques changements essentiels à ses yeux. Notamment la réduction du nombre de chambres d’une centaine à 88 actuellement, les espaces ainsi gagnés ayant pu être transformés en salles d’activités, sports d’équipe, fitness, bibliothèque, salle d’ordinateur avec accès libre à Internet... « Nous allons traiter le retenu comme une personne tout à fait normale, dans le respect de sa dignité, même si nous sommes conscients que tous n’ont pas que de bonnes intentions, » promet Fari Khabirpour.
Car se retrouveront ici, dans la promiscuité du centre, des demandeurs d’asile en fin de droit, dont la demande aura été déboutée et tous les recours épuisés et le retour forcé ordonné par le ministre de l’Immigration ; des personnes se trouvant illégalement sur le territoire, sans papiers ou dont le visa a expiré, que la police a pu interpeller chez elles ou lors d’un banal contrôle des papiers d’identité dans la rue ; mais aussi des étrangers condamnés à une peine de prison qu’ils ont purgée et qui seront par la suite expulsés du territoire. C’est cette population-là que l’équipe du centre craint le plus, pour son potentiel violent et la difficile gestion de sa cohabitation avec les autres.
« L’arrivée sera le moment le plus important de leur séjour ici, explique le directeur, nous allons nous accorder le temps nécessaire pour les accueillir, les rassurer et leur expliquer que nous ne sommes responsables ni de leur sort, ni de la décision de leur rapatriement, mais que nous allons tout faire pour encadrer au mieux leur séjour ici. » Le Centre, bien que sous la responsabilité du ministre de l’Immigration Nicolas Schmit (LSAP) et dépendant administrativement du ministère des Affaires étrangères, aura son propre statut.
Les recrutements du personnel, une quarantaine de personnes à ce stade, dont 27 surveillants ou « agents de rétention », douze dans l’administration et quatre pour l’équipe psycho-socio-éducative, ont été clôturés fin avril. Le bâtiment est presque achevé, restent les dernières finitions à faire jusqu’au 1er juin, lorsque les formations du personnel sur place commenceront et le 1er juillet, les premiers retenus devraient pouvoir être transférés au Findel. Soucieux de la sécurité aussi bien du personnel que des retenus, Fari Khabirpour envisage d’ouvrir deux unités seulement au début et s’attend à une occupation d’en moyenne 40 à 50 personnes – alors qu’actuellement, il y en a une vingtaine seulement en rétention en même temps à Schrassig. Il se pourrait donc que le recours à la rétention avant un retour forcé soit généralisé, c’est d’ailleurs aussi ce que craint la Commission consultative des droits de l’homme dans son avis sur le projet de loi de transposition de la directive retour, présenté ce mercredi : ce texte législatif (n°6218) présumerait un « risque de fuite » de tout demandeur débouté ou étranger en situation irrégulière, et donc légitimerait un placement en rétention sans autre condition2.
La durée maximale d’un placement en rétention sera de quatre mois, mais, après la réforme, pourrait être prolongé à six mois, voire, dans des cas exceptionnels, à 18 mois – une éternité, ce qui est aussi inadmissible aux yeux de l’équipe de direction du Centre de rétention, pour lesquels un mois serait une durée moyenne acceptable. Si l’organisation des papiers de voyage et d’entrée sur le territoire de leur pays d’origine s’avérait excessivement longue et difficile, rendant un retour impossible – comme c’est actuellement le cas par exemple pour l’Algérie ou encore la Somalie –, alors il faudrait être conséquent et libérer la personne concernée, qui ne porte aucune responsabilité à cette durée excessive. Les enfants, c’est aussi une volonté politique du ministre qu’il a plusieurs fois soulignée, ne doivent en aucun cas être enfermés durant plus de 72 heures.
En parallèle à l’achèvement du bâtiment, le règlement grand-ducal fixant les conditions et modalités générales du centre est en cours de finalisation : définissant la gestion interne du séjour du retenu, de l’accueil et de l’inventaire de ses affaires personnelles en passant par la santé, les visites (toujours possibles, qu’elles soient de la part de personnes privées ou d’ONG de défense des droits de l’homme), le courrier, l’alimentation ou la possibilité de travailler en échange d’un peu d’argent de poche (deux euros par heure), ce texte est très exhaustif, « pour éviter l’arbitraire, souligne Fari Khabirpour, parce que le traitement des retenus ne doit pas dépendre de l’humeur du directeur ». Et Vincent Sybertz, directeur adjoint et juriste de formation, d’ajouter qu’il « nous faut des règles claires, qui sont autant de garanties pour le retenu ».
Dans son avis sur le projet de règlement, le Conseil d’État regrette le manque de confiance accordée aux retenus et constate certaines atteintes à la dignité humaine, par exemple en ce qui concerne la gestion des médicaments prescrits par un médecin. Les auteurs veulent d’ailleurs largement suivre les recommandations du Conseil d’État.