La politique d’intégration du Luxembourg est actuellement un sujet particulièrement chaud – et à raison. L’État s’est pourtant récemment doté de plusieurs outils pour faciliter l’accueil et l’intégration. La loi du 16 décembre 2008 concernant l’accueil et l’intégration des étrangers au grand-duché de Luxembourg entrée en vigueur au mois de juin 2009, réforme la législation luxembourgeoise au niveau de l’accueil et de l’intégration des étrangers ainsi que l’action sociale en faveur des étrangers. Mais les débats ne diminuent pas pour autant. La mise en place du Contrat d’accueil et d’intégration (CAI) prévue par cette loi a nourri des réflexions et des interrogations de part et d’autre et on s’étonne que pas un seul contrat n’ait vu le jour jusqu’à présent.
En effet, le ministère n’en est encore qu’à la finalisation du projet de règlement grand-ducal (RGD) fixant les conditions d’application et les modalités d’exécution du CAI. Selon l’Office luxembourgeois pour l’accueil et l’intégration (Olai), les avis de la « Plate-forme migration et intégration »1 (M[&]I), celui de la Chambre des salariés et celui du Conseil d’État seraient « en train d’être analysés par les deux ministères concernés et le règlement adapté, dans la mesure du possible ».
Hélas, dans les parages de la Plate-forme, on s’interroge sur la nature de la ligne budgétaire appelée « Mise en œuvre du contrat d’accueil et d’intégration » et qui prévoit des montants non les plus maigres. La ligne envisage 176 000 euros pour le projet de budget 2011 et rapporte le compte provisoire de 114 411 Euros en 2009 et le budget voté de 220 000 pour 2010. Qu’est-il advenu de cet argent ? Selon l’Olai, ces montants auraient été dépensés pour de « nombreuses initiatives menant à la création des conditions nécessaires pour la mise en œuvre du CAI ». Depuis 2009 auraient eu lieu « l’élaboration des cours civiques et une formation de formateurs, la conception des différents documents et prestations, le développement d’un outil de gestion, l’établissement de collaboration avec différents acteurs, la formation des employés gérant le CAI »2.
Mais l’on peut s’étonner de cette absence de communication entre les institutions étatiques et les acteurs de la société civile. Ces derniers n’auraient pas été impliqués, ni dans la phase de préparation, ni dans la phase de l’élaboration du contrat-type et de ces déclinaisons en différents volets. Ainsi, la Plate-forme regrette dans son avis « l’absence de dialogue dans la phase de préparation et plus précisément la tenue à l’écart de l’organe consultatif légal, à savoir le Conseil national des étrangers (CNE) ». Mais dès lors qu’on sait que le président du CNE est la même personne que le directeur de l’Olai, l’on n’est plus guère surpris.
Le contrat comprend pour l’essentiel un « paquet linguistique » et des cours d’instruction civique. Pendant deux ans, le « candidat » est tenu, selon les termes du contrat, d’assister à 70 pour cent des cours afin de décrocher un « certificat de participation ». Les ONGs regrettent d’ailleurs qu’il n’y ait pas de précision sur la valeur concrète de ce certificat.
Il ne ressort pas non plus clairement du projet de RGD si les « candidats » vont tous être acceptés ou bien s’il y aura un filtre. Le projet de RGD écrit ceci : « Le CAI est prioritairement proposé aux nouveaux arrivants », c’est-à-dire, ceux « vivant aux Luxembourg depuis moins de cinq ans ». Plus loin, on peut lire : « Les critères de sélection sont les suivants : être citoyen européen ou ressortissant de pays tiers ; être âgé de seize ans et plus ; séjourner légalement sur le territoire depuis moins de cinq ans ».
Si ces critères permettent à tous ceux qui y répondent de signer un contrat, la Plate-forme se demande si les moyens seront conséquents. Autre question qui est laissée sans réponse dans le projet de RGD est celle de l’information des étrangers sur le CAI. Comment vont-ils être informés et sensibilisés par rapport au CAI ? Surtout que le CAI ne sera pas obligatoire mais « ne vaudra que par son attractivité », selon l’avis de la Plateforme.
Toutefois, comme le note le Conseil d’État dans son avis, « il y a lieu de rappeler que selon l’article 13 de la loi (du 16 décembre 2008), « les étrangers ayant signé le contrat d’accueil et d’intégration sont considérés comme prioritaires dans les mesures et actions prévues par le plan d’action national d’intégration. La signature et le respect des stipulations contenues dans les contrats d’accueil et d’intégration par l’étranger sont prises en considération pour l’appréciation du degré d’information ».
Indirectement, il y a donc bel et bien des sanctions pour celui qui n’aurait pas soussigné au CAI. Et l’Olai de rappeler le caractère facultative lu CAI par « la volonté de l’État de créer des conditions d’égalité de traitement de tous les ressortissants étrangers ».
En ce qui concerne le contenu du CAI, la Plateforme « considère que le projet de RGD se caractérise par un manque d’ambition et une modestie des moyens envisagés ». Le niveau A.1.1 à atteindre correspondrait, selon l’Institut national des langues « en moyenne à un volume d’heures de cours allant de 60 à 80 ». Et la Plateforme de regretter qu’« en France, on a droit à 400 heures et en Allemagne à minimum de 600 heures ».
Sans souligner que ces deux pays n’ont qu’une langue, alors qu’au Luxembourg il y en a trois. C’est pourquoi Laura Zuccoli, présidente de l’Asti, rappelle que la langue n’est qu’un aspect de l’intégration qui est un processus bien plus vaste et plus complexe. Le Conseil d’État va dans le même sens dans son avis et « se demande quelles furent les considérations qui ont décidé les auteurs du projet (de RGD) à ne pas inclure dans le cadre du règlement grand-ducal des mesures visant l’intégration économique des candidats signataires ». Et de continuer qu’« il est pourtant admis que l’accès sur le marché de travail (…) est le meilleur garant de l’intégration réussie ».
Pourquoi n’a-t-on pas voulu être plus ambitieux dans cet outil d’intégration ? Pourquoi cette modestie ? La directrice de l’Olai, Christiane Martin, avance que « la raison pour laquelle nous avons choisi un niveau minimal s’inscrit dans une approche d’égalité des chances. Notre but, c’est celui de permettre à une majorité de personnes de mener à bien leur contrat ». Est-ce que cela veut dire que les moyens ne suffisaient pas à garantir à tous les candidats une formation plus poussée ? Sacrifie-t-on la qualité d’un projet à la quantité ?
« De la part de l’État, il s’agit d’assurer une formation linguistique qui donnera la possibilité aux signataires dudit contrat d’apprendre la langue luxembourgeoise, française ou allemande. Le choix laissé au candidat pour une, voire plusieurs des trois langues officielles du pays, s’inscrit dans la prise en compte de ses besoins personnels et professionnels, » selon l’Olai. Mais, si on laisse le choix aux candidats d’apprendre une, voire plusieurs des langues, 60 à 80 heures ne peuvent-ils pas encore moins suffire ? Et si la volonté est de prendre « en compte des besoins », pourquoi ne travaille-t-on pas de concert avec les associations qui ont pour mission de s’engager pour les droits de cette population ?
Parlant de besoins, Laura Zuccoli souligne que « tout le monde n’est pas égal devant l’apprentissage ». Il n’y a pas que des étrangers diplômés au Luxembourg, mais également ceux avec un parcours scolaire faible. Et de demander « qu’est ce que l’État a prévu pour eux ? »
Tout le monde n’est pas égal, non plus, du point de vue financier. Hélas, il ne ressort pas clairement du RGD à combien s’élèvent les droits d’inscription. Ce n’est que dans les commentaires des articles, qu’on peut lire que « le candidat signataire paie uniquement un droit d’inscription réduit à l’Institut national des langues égal au droit d’inscription initial qui s’élève à dix euros par année académique, par apprenant et par langue ». Et d’annoncer d’éventuelles réductions exemptions du paiement du droit d’inscription. Le Conseil d’État de son côté se prononce dans son avis pour la gratuité, à l’instar des cours d’instruction civique.
Plus généralement, c’est aussi la question de l’adaptation aux différences culturelles qu’il faudrait poser. L’apprentissage, les façons d’expliquer et de comprendre ne sont pas les mêmes partout au monde, mais sont influencées par le contexte direct et les manières de voir le monde et de l’expliquer.
Selon l’avis de la Plateforme M[&]I, l’offre contenue dans le projet de RGD devrait être complétée « par d’autres éléments » : ainsi, « on aurait pu s’imaginer que la formation civique (et les cours de langue) permettent un minimum d’immersion dans la société d’accueil et un minimum de contacts avec les ‘autres’ ». Le coaching permettrait de faciliter l’apprentissage de la nouvelle langue la découvrant. Mais, finalement, l’on ne sait pas grand chose sur les contenus des formations. Le Conseil d’État note ainsi qu’il « aurait apprécié disposer de quelques renseignements sur le contenu concret de ladite formation et notamment sur les moyens didactiques auxquels l’Olai entend recourir ».
Le projet de RGD indique que les « cours (qui) sont dispensés par le ministère de l’Éducation nationale respectivement par des prestataires conventionnés par lui » et que les «cours d’instruction civique (…) sont dispensés par le Men et l’Olai, en coopération avec des prestataires conventionnés par le Men». Il ne reste au lecteur qu’à deviner qui pourraient être ces prestataires.
Un autre point d’interrogation se pose en ce qui concerne le congé linguistique. La plateforme écrit à ce propos qu’« il n’y a aucune précision quant à un éventuel lien ou cumul avec le congé linguistique, qui lui ne permet que l’apprentissage de la langue luxembourgeoise pendant les heures de travail ». Quelle sera donc la situation pour ceux qui optent pour l’apprentissage de la langue allemande ou française ?
En tout et pour tout, on remarque qu’il y a beaucoup d’interrogations et beaucoup de flou autour du CAI. Le contrat-type donnera sans doute une image plus claire, c’est pourquoi le Conseil d’État regrette qu’il ne fût pas joint au dossier. Surtout et vu que le CAI prévoit essentiellement une intégration à travers l’apprentissage des langues, il reste à voir s’il sera véritablement un outil à favoriser l’intégration.