En octobre 2016, la Commission d’aménagement (instituée auprès du ministère de l’Intérieur) publiait son avis sur le PAG de la Ville de Luxembourg. Elle y soulevait une question que personne ne voulait entendre : « Pourquoi ne pas entamer une réflexion urbanistique sur le site du Glacis, un terrain vague d’une moindre qualité et constituant une séparation assez prononcée du centre de la Ville et le quartier de Limpertsberg ». Après tout, le terrain appartient à l’État (sauf une petite partie, propriété de la commune), et sa situation est idéale : dans l’hyper-centre, en face d’un parc majestueux et disposant d’un arrêt de tram. Même en y construisant de manière très conservatrice (rez-de-chaussée plus deux étages), un Glacis urbanisé pourrait héberger quelque 1 200 personnes.
La réponse du collège échevinal fut négative : « Le site du Glacis représente le dernier grand espace libre au cœur de la ville permettant la tenue d’événements populaires de grande envergure, comme la ‘Schueberfouer’ en août de chaque année. […] La Ville n’envisage pas de changement sur ce site ». Jusqu’au prochain PAG, donc durant probablement trois décennies encore, le Glacis restera un gigantesque parking. Il y a quelques semaines, la maire Lydie Polfer (DP) expliquait au Land que ce terrain, au-delà de la foire, avait son utilité : « Regardez le Limpertsberg avec toutes ses anciennes maisons construites sans garages : pour ses habitants, le Glacis est une solution. Sans parler de tous les employés qui travaillent allée Scheffer. »
Pourtant, des projets pour le Glacis, il y en a eu. En 1900, l’architecte de l’État, Charles Arendt, propose d’y construire une cathédrale dans le style néogothique. Ce lieu de pèlerinage, supposée accueillir plus de 3 000 croyants, devait trôner à la hauteur des avenues Pasteur et Hugo.
En 1902, le plan Stübben évoque finalement peu le terrain vague, le classant « Champ des foires ». L’urbaniste colonais Joseph Stübben, qui restera comme l’homme qui a réussi l’avenue de la Liberté et l’allée Léopold Goebel, propose néanmoins de relier, par une large avenue métropolitaine et boisée, le Limpertsberg au centre-ville via le Glacis. Le conseil échevinal ne poursuit pas l’idée.
En 1929, le gouvernement décrète l’« urgence » de trouver un nouvel emplacement pour l’Athénée de Luxembourg, l’hygiène des locaux rue Notre Dame étant jugée « déplorable ». Une dizaine de lieux d’implantation sont discutés, dont le Plateau Saint-Esprit, le boulevard Royal et le Rousegäertchen. Et cela de manière étonnamment polémique, les syndicats d’initiatives locaux cherchant chacun à accueillir le lycée prestigieux. Le Glacis finira par être retenu. En 1937, à l’issue d’un « concours d’idées entre les architectes de nationalité luxembourgeoise », le projet assez terne de Hubert Schumacher est sélectionné, s’imposant contre des projets nettement plus Bauhaus. Le 29 mars 1940, l’acte de vente est signé pour un terrain situé derrière la Fondation Pescatore. L’invasion allemande du 10 mai met un terme abrupt au projet.
Au-début des années 1970, un déménagement de la Schueberfouer vers le Kirchberg est évoqué, mais le conseil échevinal ne pousse pas les réflexions plus loin. Toucher à la Schueberfouer est considéré comme un sacrilège, bien que son emplacement actuel au Glacis ne date que de 1890. Entre forains et commerçants, le Glacis reste un enjeu de tensions. En 1977, le Courrier du commerce se plaint de la Fouer qui bloquerait « leur » parking durant cinq à six semaines de l’année.
En 1975, le terrain vague, qui fonctionnait comme « geordnete Autodeponie », est aménagé en parking gratuit pour 1 200 emplacements. (« Vom Parking im Stadtpark geht vorläufig keine Rede mehr », écrit le Land en décembre 1974.) En 1983, voulant assainir les finances communales, la Ville rend le parking payant, ce qui provoque la naissance d’une éphémère « Biergerinitiativ Parking Glacis » qui récoltera 3 800 signatures.
En 1978, l’architecte Léon Krier présente Luxembourg, Capital of Europe, un « projet pour une ville en péril » financé par les Archives d’architecture moderne à Bruxelles. Le « masterplan » de Krier prévoit une urbanisation du Glacis qui préfigure le style ultra-classiciste de sa Cité judiciaire : tourelles, arènes, arcades. (Léon Krier, lui, se réfère à un « ordre architectural unifié » citant en exemples la rue de Rivoli et la Place Vendôme à Paris.) Les plans de Krier, perçus comme pures fantasmagories, atterrissent dans les archives.
En 1986, Daniel Miltgen, haut fonctionnaire au ministère du Logement, et Jean Hamilius Jr, économiste et fils du ministre libéral, cosignent une tribune libre au Land dans laquelle ils plaident pour une urbanisation du Glacis, ce non-lieu « wo die Öde einen virtuosen Ausdruck findet ». Celle-ci serait rendue nécessaire par les « vingt eurobanques » se cherchant une adresse prestigieuse. L’urbaniste, estimaient Miltgen et Hamilius, devrait se réinventer en « Produktmanager von Standorten ».
La pression exercée par la place financière rend le cas du Glacis d’autant plus intriguant. Le vide témoigne peut-être de la force de la Schueberfouer qui reste le seul événement réunissant toutes les classes sociales, toutes les nationalités, et ceci à l’échelle de la Grande Région. L’expulsion de la fête populaire vers les périphéries (Portes de Hollerich, par exemple) signifierait également une homogénéisation sociale du centre. Bernard Thomas