La publication par le Commissariat aux assurances (CAA) de son rapport sur l’exercice 2010 invite à revenir sur ce secteur d’activité qui s’affirme plus que jamais comme un des piliers de la place financière. Pour s’en tenir à l’assurance directe (c’est-à-dire hors réassurance), celle-ci a connu deux exercices successifs exceptionnels. Après une année 2009 qui avait enregistré une progression de plus de 50 pour cent des primes encaissées, l’année 2010 a confirmé la vitalité du secteur.
Tout d’abord au niveau des encaissements : ils se sont envolés durant la première moitié de l’année 2010 sous l’effet d’une forte demande internationale de produits vie ; au point d’atteindre un montant global de 24,7 milliards d’auros, ce qui marque une progression de 23 p.c. par rapport à l’exercice précédent, à comparer avec une croissance moyenne de 2 p.c. sur les marchés d’assurance d’Europe occidentale.
Si le nombre des entreprises d’assurance luxembourgeoises (95) est resté quasiment stable, le total de leurs bilans a progressé dans des proportions comparables aux encaissements, de l’ordre de 25 p.c., pour atteindre 109,8 milliards d’euros.
Et cette forte croissance ne s’est pas réalisée au détriment de la profitabilité puisque les bénéfices ont crû de 24,97 pour cent pour atteindre le montant global de 300 millions, avec une mention particulière pour l’assurance non vie qui, selon le CAA, obtient le meilleur résultat jamais réalisé. Ce qui n’a pas empêché l’organisation des assureurs luxembourgeois (ACA) de tempérer l’enthousiasme du CAA en exprimant – comme c’est son rôle – les préoccupations de la profession, notamment sur la réduction des marges dans l’activité vie internationale et sur la dérive du coût des réparations automobiles.
Avec de tels chiffres, il n’y a rien d’étonnant à que les assureurs luxembourgeois affichent globalement une solide santé financière, qui se traduit par un confortable ratio de couverture de la marge de solvabilité (189 p.c.). Et qu’ils embauchent du personnel salarié, dont le nombre a continué à progresser avec un effectif total de 3 956 personnes.
Ces données qui campent le décor de l’exercice 2010 concernent la totalité de l’assurance directe luxembourgeoise. Mais le marché qu’elles recouvrent n’est pas homogène. Pris dans son ensemble, il évoque un pâté de cheval et d’alouette, car il est marqué par de fortes disparités entre différents types d’activités : l’activité domestique et l’activité internationale ; l’assurance non vie et l’assurance vie. Une segmentation apparaît donc nécessaire pour affiner l’analyse ; elle conduit à distinguer : le marché domestique luxembourgeois ; le marché international vie ; et le marché international non- vie.
Il s’agit d’un marché à l’échelle du pays, de dimension modeste et dont la maturité exclut de fortes perspectives de croissance. Le président de l’ACA indiquait dans une interview récente que, pour gagner une affaire en IARD, il fallait la ravir à un concurrent en jouant sur les prix. Il ne faudrait pas en déduire que l’assurance luxembourgeoise constitue un univers impitoyable. L’atmosphère y est plutôt urbaine et le métier d’assureur, comme l’a souligné le CAA, dégage à Luxembourg une bonne rentabilité. Ne serait-ce que parce qu’en IARD, le ratio sinistres sur primes est relativement favorable (76 pour cent en 2010), permettant aux assureurs de dégager un bénéfice technique indépendamment des profits réalisés sur les placements.
Le marché luxembourgeois est dominé par cinq à six acteurs qui se partagent 90 pour cent des affaires et qui distribuent leurs produits principalement par le canal d’agents mandataires. Certains d’entre eux, comme La Luxembourgeoise et Axa Luxembourg, se cantonnent strictement et pour des raisons qui leur sont propres au marché domestique. D’autres ont tenté l’aventure du grand large en développant parallèlement, et avec succès, une activité internationale d’assurance-vie. Tel est le cas de la Bâloise et du Foyer, ce dernier ayant même intégré à son groupe une banque de gestion de patrimoine à la dénomination engageante (Capital at Work).
S’agissant des assurances de personnes (assurance santé et assurance vie), le grand-duché ne constitue pas un terrain favorable : l’excellence du système légal d’assurance maladie et de retraite n’incite guère, en effet, à investir dans une couverture complémentaire privée. Pour l’heure au moins. Mais les choses pourraient changer et il est intéressant de noter que certains anticipent sur des évolutions démographiques et sociétales prévisibles. C’est ainsi qu’Axa Luxembourg, déjà présente dans le domaine de l’offre santé à destination des entreprises, a acquis en juin 2011 la société Interlux pour son savoir faire dans le domaine de la santé aux particuliers.
Quant aux produits d’épargne-pension assortis des faveurs fiscales de l’article 111bis LIR, ils continuent à progresser en 2010, de l’ordre de 9 p.c., tant en nombre de contrats souscrits que de primes encaissées.
Au total, les primes émises sur le marché luxembourgeois se sont élevées en 2010 à 2,1 milliards, ce qui traduit une progression supérieure à l’inflation de l’encaissement récurrent tant en vie qu’en non-vie.
Développé par les assureurs luxembourgeois depuis le début des années 1990 à la faveur de l’ouverture du marché unique des services financiers, il représente une part écrasante (85 p.c.) de l’ensemble des primes collectées par le secteur. Sur les quelque 21 milliards d’euros encaissés en 2010 (+ 24,9 p.c. par rapport à l’année précédente), principalement en libre prestation de services, 52 p.c. ont été investis dans des contrats à fonds dédiés destinés à une clientèle fortunée, 15 p.c. dans des produits en unités de compte grand public, et 33 p.c. dans des contrats classiques à rendement garanti qui connaissent un regain de faveur en cette période de turbulences sur les marchés financiers.
On signalera qu’en 2010, à la différence des années précédentes, le rendement moyen des contrats adossés à des fonds dédiés (8,17 p.c.) est supérieur à la performance des contrats en unités de compte grand public (7,68 p.c.), ce qui corrige une anomalie qui avait été relevée par cette revue. Au plan géographique, l’activité des assureurs luxembourgeois s’exerce de façon prépondérante sur les marchés européens, principalement et par ordre d’importance décroissante en Belgique, France, Italie, Allemagne. Mais l’année 2010 a été marquée également par la poursuite, et même l’accélération des activités en dehors de l’Espace économique européen, lesquelles représentent 11,3 p.c. de l’encaissement.
Mérite également d’être relevée cette observation du CAA concernant le niveau de frais appliqué aux contrats d’assurance vie : il varie sensiblement selon qu’on est en présence d’opérations luxembourgeoises (0,59 pour cent) ou d’opérations en libre prestation de services sur le marché international (0,33). Les assureurs justifieront probablement cet écart par le fait que les contrats commercialisés sur le marché international sont souvent d’un montant unitaire élevé et que les frais y sont âprement négociés.
Mais le principal trait de l’exercice 2010 reste la croissance très forte de la production. Le CAA estime qu’il s’agit d’un phénomène exceptionnel ; et il ne s’émeut pas de la baisse des cotisations observée durant le premier semestre 2011 qu’il considère comme un retour à la normale, c’est-à-dire à l’étiage de 2009. De fait, l’envolée des souscriptions au début de 2010 repose largement sur un effet supposé d’aubaine fiscale ayant affecté principalement le marché belge. On a vu fleurir des argumentaires selon lesquels la réforme de la directive sur la fiscalité de l’épargne ferait échapper à la retenue à la source les contrats d’assurance vie antérieurs au 1er juillet 2010. Une telle rumeur était dépourvue de consistance. Ce qui n’a pas empêché certaines officines d’exploiter l’argument sur le thème : « Souscrivez maintenant. Après, il sera trop tard ! ». Ce genre de manœuvre n’est évidemment pas reproductible. Mais l’assurance vie luxembourgeoise a des arguments plus sérieux à faire valoir ; en particulier une réglementation bien profilée qui permet d’adapter l’offre de produits aux différentes catégories de clientèle, du grand public (contrats standards à rendement garanti ou en unités de compte) aux investisseurs fortunés à la recherche de formules personnalisées (contrats à fonds dédiés). Si l’on ajoute que son principal concurrent, l’Irlande, se débat actuellement dans de graves difficultés financières, il y a tout lieu de se montrer confiant pour l’avenir du marché international vie.
Il concerne principalement l’assurance maritime, l’assurance crédit caution et, depuis quelques années, l’assurance corporate initiée à partir de Luxembourg, sous le régime de la liberté d’établissement, par de grands groupes comme Swiss Ré. Les primes collectées sur ce marché se sont élevées en 2010 à 1,5 milliards d’euros, ce qui représente le double des encaissements non-vie sur le marché local. Dans le communiqué publié à l’occasion de la publication des statistiques du dernier trimestre 2010, le CAA avait souligné que les entreprises opérant à l’étranger dans les branches non-vie avaient renoué avec la croissance grâce à une progression de 26 pour cent de leur encaissement. L’assurance non-vie confirme ainsi son essor international qui était auparavant l’apanage de l’assurance vie.
Pour terminer, on signalera que le rapport du CAA mentionne la création, en 2011, d’un comité technique chargé d’élaborer, à la demande du Haut comité de la place financière (HCPF), un avant-projet de loi relatif aux professionnels du secteur de l’assurance (PSA). Ce projet devrait être soumis incessamment à l’appréciation du HCPF avant d’être engagé dans une procédure législative. On y reviendra lorsque son contenu sera connu.