Les banquiers luxembourgeois n’auraient plus de cheveux blancs à se faire : leur fonds de commerce a pris un coup de jeune, les clients de la race des entrepreneurs ont été séduits par la marque de fabrique grand-ducale de la gestion privée, les clients restent majoritairement de petite taille, mais ils ne demandent qu’à grandir et surtout, ils sont les plus rentables. Ils auraient donc survécu à la disparition du dentiste belge et du mécanicien allemand. C’est ce qui se dégage de l’étude de terrain que le cabinet PWC a réalisé à l’échelle mondiale auprès de 275 institutions bancaires et dont il a distillé mercredi les résultats pour le Luxembourg. Le cabinet estime que la participation luxembourgeoise lui permet d’avoir une vue sur 40 pour cent des avoirs en banque privée au grand-duché, en sachant que les actifs sous gestion y seraient de 260 milliards, ce à quoi il faut ajouter 70 milliards d’euros des family offices, ces boîtes à tout faire de gestion de fortune, indépendantes des banques, destinées aux grosses fortunes. Il y a autant de messages d’espoir que de causes d’inquiétudes dans le volet luxembourgeois de l’étude.
Car, pour avoir jusqu’ici survécu, les banquiers privés luxembourgeois ne sont pas assurés pour autant d’un avenir radieux : les défis « structurels » du secteur bancaire, la concurrence des places asiatiques et le durcissement réglementaire obscurcit leur horizon et suscite davantage d’inquiétudes chez eux que chez leurs principaux rivaux, à commencer la la Suisse. PWC indique par exemple que 56 pour cent des dirigeants luxembourgeois admettent que leur modèle d’affaires est sous pression, alors qu’à échelle internationale, cette proportion tombe à 34 pour cent. Un « gros décalage » qui interpelle le consultant sans en expliquer les raisons, sinon que d’importants investissements restent à faire dans l’organisation des établissements, notamment dans la mise à jour des systèmes informatiques et de gestion des risques.
Est-ce la nature de la banque au Luxembourg, dont les activités sont diversifiées (banque d’investissement, activités de détail, gestion de fortune) et génèrent des revenus qui le sont autant, qui mettra davantage les banquiers grand-ducaux sous pression des marchés que leurs homologues ? Il y a en tout cas une certaine antinomie dans les performances actuelles des banques de la Place et les anticipations de croissance des dirigeants interrogés dans l’enquête du consultant. Ainsi, PWC a montré qu’une large majorité des banques interrogées affichait des ratios coûts/revenus largement supérieurs à ceux des centres financiers concurrents. Cela tiendrait à la fois à la structure de la clientèle, aux avoirs relativement modestes, mais aussi au fait que les maisons-mères des établissements financiers luxembourgeois auraient peu investi dans l’adaptation de l’infrastructure de leurs filiales, continuant pour ainsi dire à les prendre pour des vaches à lait (jusqu’à ce que la corde casse ?)et les rendant de ce fait extrêmement vulnérables. PWC n’ose pas poser la question explicitement. Dans le communiqué de presse résumant les enseignements au niveau national de l’étude Global private banking and wealth management 2011, la firme s’interroge prudemment : « Les banques luxembourgeoises sont-elles particulièrement performantes ou n’investissent-elles pas suffisamment pour préparer l’avenir et risquent-elles de subir une concurrence accrue de ces pays ? » (Hong Kong et Singapour, ndlr).
Malgré l’argent frais venu renouveler la base de clientèle au cours des cinq dernières années et sa diversité géographique, les banquiers luxembourgeois anticipent une croissance « modérée » de leurs revenus, entre cinq et dix pour cent en 2011, affirme PWC. C’est moins que les attentes des banquiers en Asie, qui tablent sur une croissance de 18 pour cent cette année, mais moins qu’en Amérique (sud et nord) avec des anticipations de seulement six pour cent. Les banquiers suisses en tout cas visent une croissance au-delà des dix pour cent (lire aussi page 16). Ces chiffres sont à relativiser (à revoir à la baisse sans doute), puisque l’enquête a été réalisée avant l’été 2011 et la plongée des marchés financiers suite aux incertitudes sur la dette européenne et la solidité de la zone euro.
Les banquiers privés luxembourgeois peinent encore à recruter des clients au-delà du Vieux continent : 88 pour cent des déposants viennent d’Europe de l’Ouest, chiffre presque inchangé depuis la dernière étude PWC en 2009 (87 p.c.), et un pour cent des actifs détenus appartiennent à des clients d’Asie. En Suisse, la part des clients de la vieille Europe a également peu évolué : elle était de 72 p.c. en 2009 et pointait à 73 deux ans plus tard.
Interrogés sur leurs ambitions vers des marchés géographiques plus lointains, les dirigeants au Luxembourg déclarent viser essentiellement l’Europe de l’Est, la Russie et la Chine dans une moindre mesure. C’est une spécificité des banques luxembourgeoises de jouer la carte de la proximité. À l’opposé des banquiers suisses qui, dans l’étude du consultant, indiquent clairement leurs visées sur les marchés russe et indien et, dans une moindre mesure, en Europe de l’Est. Les banquiers luxembourgeois n’ont en revanche aucune ambition pour taquiner le client en Inde, préférant concentrer ses efforts de développement et marketing sur le Moyen Orient, Hong Kong et Singapour dans la gestion de fortune. Luc Frieden, ministre CSV des Finances et accessoirement monsieur VRP de la place financière devra continuer à faire la tournée des popotes, car visiblement ça paye.
PWC, qui piste les évolutions de la gestion de fortune depuis 1993, a encore observé une évolution plutôt rassurante de la banque privée au grand-duché (PWC y voit d’ailleurs « un signe très positif pour l’évolution du marché ») : la proportion de new money est passée de 23 pour cent en 2007 à 40 en 2011. La Suisse fait bien mieux quand même, mais les banques sont parties de plus haut en 2009 : elles annonçaient à cette date 32 pour cent de new money et en afficheraient désormais une portion de 47 pour cent.
Les banques luxembourgeoises et suisses ne jouent pas de toute façon sur le même registre. Le grand-duché ne se départit pas, malgré les efforts de montée en gamme accomplis ces dernières années, de son image de centre de gestion privée pour les fortunes relativement modestes. En nombre, 80 pour cent des clients ont des niveaux de portefeuille entre zéro et un million d’euros, soit 28 pour cent des actifs en banque privée. L’étude PWC signale néanmoins une évolution significative de la taille des actifs détenus : en 2009, 42 pour cent des actifs se situaient entre cinq millions d’euros et au-delà de 50 millions. Cette part est montée à 54 pour cent en 2011.
Les signaux seraient donc au vert dans la banque privée, avec toutefois des zones d’ombre persistantes : PWC s’interroge sur le vieillissement du modèle luxembourgeois de banque privée et s’inquiète de la proportion peu élevée des investissements dans les budgets informatiques, alors que la réglementation a beaucoup évolué et requiert des dépenses importantes pour s’y adapter. 47 pour cent des banques luxembourgeoises interrogées ont vu leur budget IT augmenter pour faire face à ces évolutions (pour 37 p.c. le budget a baissé). En Suisse, 62 pour cent des établissements qui ont participé à l’enquête ont assuré avoir eu un budget informatique en hausse. La part a été de 80 pour cent pour les établissements de Hong Kong et de Singapour, [-]promis à un bel avenir dans la [-]banque privée.
À ces chiffres, il convient de faire état du faible recours à des prestataires extérieurs au grand-duché : 38 pour cent des établissements luxembourgeois recourent à l’outsourcing contre 71 pour cent en Suisse. Ça faisait partie de la philosophie du régulateur luxembourgeois d’obliger les établissements tombant sous sa coupe de faire effectuer la majeure partie des travaux non stratégiques par les banques elles-mêmes, mais le modèle du « tout domestique » est en passe de devenir obsolète, d’autant que certaines banques, en gérant elles-mêmes des activités en interne en avançant les faux argument de la sécurité et de l’intérêt du client, alors que ces activités génèrent avant tout des commissions, ont montré de grosses défaillances à vouloir trop embrasser. L’affaire Madoff en est la démonstration.
Et la protection du client dans tout ça ? Y-a-t-il une place pour ce genre de considération ? L’étude internationale de PWC évoque les inquiétudes des banquiers privés à propos des projets de durcissement de la protection des usagers. Au niveau européen, la révision des règles de la directive Mifid sur la transparence des transactions financières leur font des cheveux gris, surtout que le nouveau texte serait associé à des obligations d’informations sur les prix des services de gestion privé et que des changements qui s’annoncent sur leur mode de prélèvement. La banque privée risque de rapporter moins qu’avant, à l’âge béni de la clientèle captive qui ne jurait que par le secret bancaire.