Depuis quelques décennies, la globalisation financière s’est traduite par une augmentation importante des fonds d’investissement qui se manifeste différemment selon les pays. Selon la CSSF, dans son rapport d’activités de 2010, la collecte nette des fonds domiciliés au Luxembourg et en Irlande s’est élevée à 215 milliards d’euros, soit 50 milliards d’euros de plus que la collecte nette des fonds UCITS dans leur ensemble. La place financière luxembourgeoise est aujourd’hui devenue le plus grand centre d’administration des fonds en Europe avec 12 937 unités, 3667 OPC et 179 sociétés de gestion. Les actifs gérés par les fonds domiciliés au Luxembourg se sont accrus de11 pour cent pour terminer à 2 955,2 milliards de dollars ou 2 202 milliards d’euros, l’encours en euros s’avérant supérieur au record absolu de fin 2007. Ce développement pose avec plus d’acuité la question de l’attractivité des places. Avec des prises de positions sur les marchés de plus en plus globalisantes et des procédures de multi-gestion plus complexes, il rend la sélection et la comparaison de performance des fonds encore plus difficiles.
La gestion de cette complexité soulève de nombreux débats. En théorie, les innovations financières faciliteraient l’allocation optimale des risques entre les agents économiques et le partage des risques améliorerait le fonctionnement du système financier. En pratique, l’usage des produits dérivés a eu pour effet pervers de donner l’illusion aux investisseurs qu’il était possible d’obtenir des performances toujours supérieures sans leur faire prendre conscience de l’ampleur des risques encourus. Il apparaît que la complexité des produits et la concentration des risques sont des sources potentielles d’instabilité, du fait de la fréquence et de l’ampleur des risques extrêmes, de l’augmentation de l’incertitude et la possibilité accrue de risque systémique. Pour répondre à cette complexité croissante, la règlementation propose une classification entre les fonds non sophistiqués et sophistiqués. Cette distinction renvoie à la présence ou non de fortes non-linéarités dans le portefeuille, liées par exemple à des produits optionnels, à des dérivés de crédit ou à des produits structurés. Or, cette distinction ne permet pas une classification précise et complète des fonds. Des zones d’ombres interprétatives demeurent notamment sur le terrain de l’activité des Sicav autogérées et des délégations effectives des fonctions de gestion (Luxembourg, Irlande). Le Committee of European Security Regulators (CESR) a alors émis un certain nombre de recommandations concernant l’application des méthodes de gestion des risques. Parmi ces recommandations, l’usage des dérivés devrait être motivé par le seul souci de conserver le modèle de gestion efficiente de portefeuilles. La notion d’efficience des marchés est au cœur de la théorie financière mais dans les textes règlementaires, elle reste cependant difficile à interpréter. Est-elle de nature informationnelle ? Fait-elle référence à l’évaluation de la valeur des actifs ? Ou bien est-elle une mesure de la diversification du risque ?
Si cette question d’efficience des marchés a trouvé une réponse à la fois pratique et théorique pour le choix des actions à mettre en portefeuilles, la question demeureconcernant la sélection des fonds. En effet, depuis les années 1990, la valorisation des produits est rendue complexe par le double mouvement de diversification sectorielle et internationale des actifs. Aujourd’hui, le développement de l’industrie des fonds pose aussi la problématique de la diversification de style. Cette pratique consiste à identifier les meilleurs gérants sur la base de la performance quantifiée des fonds et de la qualité des suivis, renseignée par les procédures de due diligence et des notations des agences spécialisées. Du fait de ce changement de nature dans l’évaluation du risque, les gestionnaires sont bien souvent incapables de l’évaluer correctement, voire d’apprécier les choix stratégiques dans la sélection de fonds. Par exemple, pour un fonds de fonds donné, il devient plus complexe de déterminer l’ensemble des facteurs de risque et la matrice de corrélations, d’où un flou jugé excessif dans l’estimation des couples rendement – risque. Ainsi, le problème de comparaison de performances reste entier, notamment celle des classes d’actifs avec leurs benchmarks respectifs.
Cette problématique a motivé un projet de recherche au sein de la Cellule de recherche en économie appliquée (CREA) de l’Université du Luxembourg avec le soutien du Fonds national de la recherche (FNR). Elle pose une question simple, celle de savoir si le concept de diversification tel qu’il se pose pour les actions, peut être transposé aux fonds ? En d’autres termes, peut-on, sur la base de la domiciliation des fonds, identifier des caractéristiques spécifiques qui peuvent être utilisées comme base de décisions en matière de choix d’investissement ? Et quels sont les indicateurs les plus appropriés pour définir ces critères de comparaison des performances ? La question peut s’avérer simpliste dans la mesure où il est logique voire même trivial que la qualité d’un produit ne dépende pas de l’endroit où il est stocké ou distribué mais dépende plutôt de sa valeur intrinsèque. Néanmoins, toute évidence cache parfois des constatations plus complexes et d’après nos premières conclusions, il semblerait qu’il y ait une prime à la performance liée au choix de la domiciliation, à travers un cadre règlementaire qui favorise les structures de gestion.
C’est précisément ce qu’ont pu constater plusieurs études. Khorana [&] al (2009)1 ont montré sur un échantillon de 56 pays, que l’existence d’un cadre juridique approprié influe positivement sur la performance des fonds. Associé à de faibles coûts de gestion, elle favorise la souscription des fonds et par conséquent la taille du marché des fonds dans un pays. Sur une base de 10 000 fonds, Ferreira [&] al (2007)2 confirment la relation positive entre la performance et un cadre juridique approprié et d’autres caractéristiques liées à la gouvernance et à l’environnement socio-économique (proximité des acteurs, qualité d’information, expertise…). Dans une étude récente3, nous arrivons à la même conclusion en comparant des indicateurs de performance de cinq principales places. Plus précisément, sur la période 2000-2007, nous identifions des groupes de fonds avec des similitudes : les fonds domiciliés dans les pays anglo-saxons (Grande-Bretagne, États-Unis) et les fonds domiciliés en Europe (Allemagne, France et Luxembourg). L’observation de comportements similaires entre les différents groupes de fonds incite à approfondir la nature des proximités identifiées. Or, ceci ne peut être mené en utilisant les méthodes classiques de regroupements statistiques basées sur des mesures de moyennes agrégées. Dans cette perspective, nous avons opté pour une nouvelle méthodologie de construction d’indices de fonds synthétiques (FSI) propre à chaque place de domiciliation4.
En effet, s’il existe une grande variété d’indices pour comparer les marchés ou les segments de marchés entre eux, il n’existe pas d’indices agrégeant les fonds et représentatifs des places de domiciliation. Sur le plan méthodologique, les différences dans la structuration, l’allocation et l’utilisation des produits dérivés dans les fonds d’investissement rendent la construction d’un tel indice délicate. Les réplications sont impossibles et la procédure d’agrégation se heurte au problème de choix de pondération. D’où le recours à l’analyse factorielle utilisée dans la construction des FSI. Cette technique permet de dépasser les limites des comparaisons statis[-]tiques habituelles, précisément parce qu’elle tient compte dans le processus d’agrégation de la structure sous-jacente des rentabilités. L’analyse comparative que nous avons effectuée sur les cinq places donne des éclairages intéressants en matière de performance comparée des fonds domiciliés. Nos précédents résultats sont non seulement confirmés, mais les FSI ont surtout permis une appréciation plus fine du risque. D’une part, une analyse de la Value at Risk (VaR) montre les dangers quant à l’utilisation du MSCI comme benchmark, surtout en période de crise. Il apparaît que cet indice, considéré comme l’indice de référence par les gestionnaires, sous-estime le risque par rapport aux FSI. D’autre part, une analyse des corrélations indique l’existence de proximité entre les fonds anglo-saxons et entre les fonds européens. Ces derniers étant peu corrélés avec le MSCI, ce qui remet encore une fois en question sa pertinence comme benchmark pour comparer les fonds.
Les FSI représentent non seulement une technique appropriée pour analyser la performance selon la domiciliation des fonds, mais aussi une alternative intéressante en tant que benchmark. Conforme aux exigences de transparence, de diversification et de représentativité formulées par le CESR, ils peuvent contribuer à procurer des informations cohérentes et comparables aux investisseurs dans la perspective tracée par la [-]directive UCITS IV.