L’affaire est en gestation depuis l’été 2010 au moins, prête à livrer ses secrets les plus ignominieux et gâcher la fin du mandat de Victor Rod, le directeur du Commissariat aux assurances : l’assureur-vie luxembourgeois Excell Life International a commercialisé des produits « miracles », notamment le fonds d’investissement Orélius Gold Invest, qui n’auraient jamais dû être mis sur le marché, promettant des rendements de sept pour cent par an. L’entreprise est aujourd’hui exsangue et opère sous le contrôle strict du Commissariat aux assurances (CAA). Un nouveau directeur, qui a désormais toute la confiance du régulateur, tente de sauver les meubles. Excell Life se cherche un repreneur, mais compte tenu de son background, les candidats à la reprise ne se poussent pas au portillon. Le portefeuille français de l’entreprise a pu être cédé et devrait bientôt être transféré à une entreprise d’assurance de droit luxembourgeois (ce transfert doit encore être validé par les autorités françaises), qui pourrait aussi racheter l’ensemble, mais rien n’est moins sûr.
Excell Life International (ELI) a mis des centaines de clients dans une situation inextricable en associant son nom au fonds Orélius, dont le gestionnaire, la société luxembourgeoise Insolux, est en défaut de rembourser les clients qui y ont souscrit. L’assureur luxembourgeois renvoie la balle à Insolux, qui ne disposait d’aucun agrément des autorités de surveillance prudentielle. La compagnie rappelle aussi aux souscripteurs qu’en achetant Orélius, ils prenaient le risque à leur charge et non l’assureur. Une plainte au pénal a été déposée en Belgique, au nom d’ELI, contre Insolux, mais des proches du dossier estiment qu’il pourrait s’agir de poudre aux yeux de la part des anciens dirigeants de la compagnie, pour diluer les vraies responsabilités. Car on retrouvait chez Insolux et Excell des administrateurs identiques.
Les clients d’ELI et tout particulièrement les souscripteurs de son « fonds interne », Orelius Golden Invest, se demandent, sur des forums de discussion, s’ils n’ont pas été victimes d’une « arnaque » de la part de leurs courtiers, alors qu’ils ont investi dans un fonds à capital garanti. Certains prétendent avoir récupéré une partie de leur investissement, mais ne se font pas beaucoup d’illusion sur le recouvrement de la totalité de leur mise. Selon les informations qui leur ont été fournies par l’assureur, le remboursement des sommes investies est conditionné à la vente de concessions minières en Afrique.
Le Commissariat aux assurances de son côté agit selon la méthode prosaïque qui a fait jusqu’à présent ses preuves : ne pas mettre la compagnie en liquidation judiciaire (une question d’image de marque), et tout faire pour que les clients récupèrent un maximum d’argent, sans être obligés de passer par les tribunaux et des procédures coûteuses.
Les courtiers, qui ont vendu, entre autres, Orélius sans forcément connaître leur toxicité ni ce qui se cachait vraiment derrière, sont également sur les dents, mais hésitent à agir sur le plan judiciaire, craignant un effet boomerang en cas d’intervention de la justice.
À regarder de près la manière dont les affaires d’Excell Life ont évolué, des rapprochements s’imposent avec deux autres scandales financiers récents : les assurances mutuelles Fortia Vida en Espagne et Apra Leven en Belgique. Elles ont en commun, outre d’avoir été placées en liquidation judiciaire, d’avoir eu à peu près les mêmes actionnaires espagnols. Ces affaires n’auraient sans doute pas éclaté sans la crise du marché immobilier ibérique qui a poussé leurs dirigeants à se servir dans la caisse, au frais des assurés.
Les dirigeants du groupe Foyer ont été bien inspirés, il y a dix ans, de mettre fin prématurément à l’aventure avec leurs partenaires espagnols dans l’entreprise d’assurances qui s’appelait alors Clave, abréviation de Compagnie luxembourgeoise d’assurances vie pour l’Europe, et qui, peu après son largage par Foyer, prit son appellation actuelle d’Excell Life. Dans le rapport annuel 2001 du Foyer, il est brièvement fait mention de la cession de la participation de 51 pour cent au partenaire espagnol, opération qui avait d’ailleurs permis au groupe luxembourgeois de réaliser une « légère plus-value ». La décision de sortir fut prise « suite à un changement de stratégie décidée par le partenaire espagnol ».
Avec les années de recul, on peut s’imaginer que le CAA, ayant autorisé Clave uniquement en raison de la présence majoritaire du Foyer dans le capital, doit amèrement regretter d’avoir donné son feu vert à l’époque et de s’être reposé sur la réputation du Foyer. C’est d’ailleurs ce groupe qui a amené les Espagnols au Luxembourg, avant de se débiner en laissant les nouveaux actionnaires agir à leur guise.
Dans le tour de table de Clave aux côtés du Foyer, on retrouvait alors la banque catalane Eurobank de Mediterra[-]neo, qui fit une retentissante faillite en 2003 et fut accusée d’avoir détourné une partie des dépôts de ses 12 000 clients vers une compagnie d’assurance vie luxembourgeoise nommée Excell Life, détenant elle-même une participation de 15 pour cent dans Eurobank. Le président d’Eurobank s’appelait Eduardo de Pascual Arxe. Il était alors aussi dans le capital d’ELI et dans le conseil d’administration, dont il démissionna en 2006, peu après avoir vendu son paquet d’action (13 p.c.) dans des conditions un peu particulières. On le retrouve aussi dans le dossier Fortia Vida en Espagne, une mutuelle issue de la fusion de Norton Life avec la compagnie Personal Life.
L’enquête autour de Fortia Vida a révélé, selon la presse espagnole citant un rapport d’audit de BDO, un détournement de fonds à hauteur de 23,62 millions d’euros, pompé de la trésorerie de la mutuelle catalane. Le rapport BDO indique en outre que cette société a surtout été utilisée pour alimenter des sociétés immobilières liées directement ou indirectement à un certain Antonio Garrigo Perez. Fortia Vida, affirment les auditeurs, a principalement servi de « mécanisme de financement de tiers ». Des prêts avaient été consentis par Fortia, qui au lieu d’être remboursés, furent transformés en participations financières largement survalorisées.
Plusieurs noms ont fait surface au Luxembourg dans le cadre d’une enquête ouverte l’année dernière par le Parquet pour abus de biens sociaux, escroquerie et blanchiment d’argent lié au dossier Excell Life. Deux des prévenus de ce dossier luxembourgeois sont d’anciens dirigeants de la compagnie vie : Paul Michonneau, l’ex-patron d’Excell Life, et Henri Lenne, son ancien bras droit. Ce dernier a aussi siègé au conseil d’administration d’Insolux. Inutile de rappeler que ces personnes sont présumées innocentes jusqu’à preuve du contraire. L’enquête du Parquet a été initiée à la suite d’une dénonciation du CAA, qui constata un certain nombre d’infractions. La police judiciaire a entendu récemment comme témoin des représentants du Commissariat, c’est dire que l’enquête avance.
Parallèlement, Michonneau a été énergiquement « invité » par les autorités luxembourgeoises à démissionner de son poste à la tête d’Excell Life. Il a également été lourdement sanctionné sur le plan administratif pour le rôle qu’il a joué dans l’escroquerie présumée. Contacté par le Land, Victor Rod, le directeur du Commissariat, a confirmé la dénonciation au Parquet parce qu’il avait considéré que les faits étaient « suffisamment graves ». Il a également confirmé que des sanctions avaient été prises contre Michonneau en tant que dirigeant agréé. « Le nouveau dirigeant agréé bénéficie de toute la confiance du Commissariat », a toutefois tenu à préciser Victor Rod.
Au Luxembourg, les ennuis d’Excell Life ont commencé en 2009 avec le défaut d’Insolux, l’émetteur du fonds Orélius Golden Invest. Un document promotionnel d’Excell Life, que le Land s’est procuré, note que ce produit à capital garanti à échéance (quinze ans) promettait un rendement net de sept pour cent par an. La composante obligataire d’Orélius, permettant la garantie du capital à échéance, s’appuyait exclusivement sur un zéro coupon linéaire émis par Deutsche Bank Luxembourg. Le reste du portefeuille s’adossait à un « sous-jacent » permettant d’assurer les rendements élevés promis. Les souscripteurs d’Orélius se faisaient dire qu’il s’agissait de prêter de l’argent aux traders sur l’or, mais en réalité l’argent allait dans des conglomérats industriels miniers aurifères en Afrique. Ce n’est certainement pas le genre d’investissements que la réglementation sur l’assurance, tant européenne que luxembourgeoise, permet, le portefeuille devant être investi dans des sociétés solides et cotées sur des Bourses européennes. Les anciens dirigeants d’ELI auraient donc dissimulé la vraie nature du fonds en violation des règles sur l’assurance et à l’insu du Commissariat. Les épargnants se sont, eux, laissés aveugler par les promesses de rendement. Pire, Insolux, en mal de liquidités, a vendu à bas prix, et prétendument sans mandat de la part d’Excell Life, le zéro coupon de la Deutsche Bank Luxembourg, qui constituait la garantie. D’où d’ailleurs la plainte engagée en Belgique par Excell Life.
« J’ai la triste crainte de m’être fait arnaquer par un courtier qui proposait des placements trop intéressants pour être vrais chez cet assureur » (Excell Life, ndlr), indique une des victimes de l’affaire sur un Forum de discussion. « Je n’obtiens aucune information satisfaisante depuis plusieurs mois, poursuit une autre sur le même site, si ce ne sont des communiqués n’engageant en rien la compagnie sur ses obligations contractuelles ». Une troisième proie dit attendre depuis un an de récupérer son capital et déplore la discrétion avec laquelle cette affaire Excell Life était traitée, s’interrogeant sur l’opportunité des victimes à se regrouper pour engager une procédure collective de type class action. Ça pourrait d’ailleurs être la prochaine étape de l’affaire Excell Life au Luxembourg.
Le CAA est pour sa part intervenu pour sanctionner les agissements des anciens dirigeants d’Excell, une première fois le 5 août 2010 pour interdire pendant six mois à la compagnie de conclure des nouveaux contrats et d’accepter des versements libres sur les contrats existants, verser des dividendes aux actionnaires et bloquer les comptes en banque. Les sanctions furent partiellement reconduites le 15 février 2011 pour une durée de deux mois, mais furent levées le 19 avril. Soucieux de trouver une solution moins sanglante pour les clients que la liquidation pure et simple, le Commissariat a considéré qu’Excell avait renforcé sa solvabilité en vendant son portefeuille français. Toutefois, pas question pour le régulateur d’autoriser la compagnie à accepter la souscription de nouveaux contrats ni l’acceptation de versements libres sur les contrats existants. Excell est donc en mode « run off » en attendant un hypothétique repreneur.
Les casseroles sont nombreuses. Des interrogations ont récemment surgi sur les conditions du renforcement des fonds propres de la compagnie et le rôle qu’a joué un cabinet d’audit de la Place pour valider un apport en nature, peu avant l’intervention du CAA. Le 20 juillet 2010, quelques jours avant que les premières sanctions ne tombent sur la compagnie, Excell procède à une augmentation de capital de 6,2 millions d’euros à travers l’apport d’une participation dans une société roumaine, Cosin Tei srl. Cosin devait lancer la construction d’un immeuble sur un terrain vague qui ne valait pas 20 pour cent du montant auquel il avait été valorisé par l’auditeur luxembourgeois.
« Excell Life, résume Victor Rod, représente moins d’un millier de l’encaissement luxembourgeois, mais il absorbe plus de dix pour cent de notre temps ». Les dossiers espagnol, belge et luxembourgeois représenteraient à eux trois une perte sèche évaluée entre 150 et 250 millions d’euros, dont 40 à 50 millions au grand-duché.