La variété française est un monstre gluant est un petit bonbon délicieux qui vous tombe dessus alors qu’on ne l’attend pas, comme celui dans le bol posé sur le comptoir du restaurant, à côté de la caisse enregistreuse. Réconfortant, agréable, gourmand. En moins d’une heure, à deux sur scène, elle, dansant, lui « conférençant », les deux excellents protagonistes de cette courte pièce entreprennent de décortiquer les ressorts de la chanson française. Attention ! Pas celle « à texte » mais la « variété », celle qui lorgne dès les années soixante du côté du rock’n’roll américain, puis de la pop britannique. Celles dont les petites ritournelles nous collent à la peau, aux mains, aux jambes, aux lèvres, tellement qu’on ne peut pas s’empêcher de danser ni de chanter, qu’on fredonne l’air jusqu’à plus soif car on ne peut plus s’en débarrasser. Oui, c’est bien cela, la variété française « colle » : c’est un monstre gluant.
Aurélie Gandit et Matthieu Remy ont conçu ce spectacle à quatre mains (production : compagnie La Brèche, Metz), donné lundi et mardi au TNL (Théâtre national de Luxembourg), dans le cadre du réjouissant festival TTT : Total Theater Treffen. Une initiative de sept structures de productions autour d’un projet interrégional, proposant douze spectacles, du 14 au 30 novembre, venant de Lorraine, de Wallonie, de la communauté germanophone de Belgique, de la Rhénanie-Palatinat, de la Sarre et du Luxembourg. C’est devenu banal de l’écrire, mais c’est toujours vrai, le Luxembourg est « au cœur » de l’Europe, et tout ce qui contribue à mettre en commun les talents des quatre pays frontaliers est souvent source de belles surprises. TTT fait se côtoyer des créations et quelques classiques, comme l’adaptation de L’Argent de Zola à Thionville mais aussi La Nuit juste avant les forêts de Koltès et Don Quijote à Trèves, ainsi que quelques « monstres » de la scène française (Michel Piccoli, Jane Birkin et Hervé Pierre) mis en scène pour Gainsbourg poète majeur.
Réjouissante découverte donc que cette Variété française... Insolite, dont l’humour provient – mais pas seulement – du décalage entre le sérieux du conférencier (excellent et flegmatique Galaad Le Goaster à la lecture du texte de Matthieu Remy) et l’absurdité des paroles décortiquées par le prisme de l’analyse littéraire (zeugme, métaphore, anacoluthe et autres figures de style), appuyée par la posture de la danseuse. C’est particulièrement drôle sur Comic Strip (Gainsbourg), encore davantage sur Comme d’habitude. L’anaphore du titre de Claude François, diffusé – intégralement ! – en version instrumentale, tout juste ponctué du fameux « comme d’habitude » récité par le conférencier devient le réceptacle d’un rire qui surgit parce qu’on s’y reconnaît : oui, on aime ce monstre gluant qui, pris pour objet d’étude universitaire, fait surgir tout le ridicule qu’il déverse... autant que les mille et une petites et grandes choses du quotidien qui nous parlent tant.
L’impertinent et insolite travail de Matthieu Remy et Aurélie Gandit excelle dans l’utilisation qu’ils font de leurs outils artistiques respectifs. La recherche du mot juste fait mouche. Celle du geste juste aussi. Aurélie Gandit compose une chorégraphie s’axant sur la danse comme jumelle naturelle de la chanson, tout en ayant recours, à plusieurs reprises, à un mime très personnalisé. Son écriture corporelle n’en est pas à ses débuts. Dans Histoires de peinture (une création de 2012 pour laquelle elle a obtenu le Prix de la recherche 2014 aux HiverÔclites, dans le cadre des Hivernales du CDC (Centre de développement chorégraphique) d’Avignon, elle livre un jubilatoire solo sur sa voix lisant les textes de l’historien de l’art Daniel Arasse. Les deux acolytes font fort aussi lorsqu’ils prennent un détour du côté de l’érotisme dissimulé dans certaines chansons, comme dans le Viens je t’emmène de Michel Berger chanté par France Gall, dansé tout en sensualité sous un drap rouge.
Il reste encore trois soirs pour faire un tour du côté de TTT avant sa clôture : la création Lisbeths au Théâtre des Capucins ce soir et demain, et Superhero, d’après le roman d’Anthony Mac Carten, samedi et dimanche au TNL, où aura aussi lieu la fête de fin de festival.