Le débat mondial qui commence à s’articuler suite aux effrayantes révélations d’Edward Snowden est-il appelé à s’effilocher en un décevant clapotis sémantique ? Le président américain botte en touche dès qu’il le peut, jurant qu’il n’a été informé de ces méthodes de Big Brother que récemment. Les dirigeants occidentaux humiliés par le NSA montent sur leurs grands chevaux lorsque émergent les détails sur l’intrusion éhontée des « spooks » américains dans leurs communications personnelles, mais reviennent aussitôt au trot et aux affaires courantes. Les fichiers mis en lieu sûr par le sonneur d’alerte semblent encore contenir leur lot de scandales sur l’ampleur de la surveillance de l’agence de sécurité nationale américaine. Mais ceux qui espéraient une mise à plat de ces pratiques indignes de démocraties doivent se préparer à être déçus. Les États-Unis ne sont pas vraiment disposés ni à reconnaître le caractère inacceptable de ces vastes programmes de surveillance, comme en témoigne un article signé ces derniers jours par la parlementaire Dianne Feinstein dans le quotidien USA Today.
La sénatrice californienne préside le Senate Intelligence Committee, ce qui lui confère une responsabilité non négligeable dans la formulation d’une réponse adéquate des instances de contrôle démocratique au scandale des abus de la NSA. Mais elle commence par asséner que le programme d’enregistrement des appels est « légal » et soumis à une « surveillance étendue » de la part du Congrès et de la justice. Elle affirme
ensuite qu’il a été efficace dans la prévention de complots terroristes contre les États-Unis et leurs alliés. « Le Congrès devrait adopter des réformes pour améliorer la transparence et la protection de la sphère privée, mais je pense que le programme devrait continuer ».
C’est, sans surprise, la ligne également défendue par Barack Obama depuis que le scandale a éclaté. Mais Dianne Feinstein poursuit : « Le programme
d’enregistrement des appels n’est pas de la surveillance » parce qu’il ne collecterait pas le contenu des conservations, se contentant de graver les métadonnées que l’on retrouve également dans les factures téléphoniques. Et Mme Feinstein d’écrire que si ce programme avait existé avant l’attentat du 11 septembre, il aurait permis d’identifier la présence États-Unis d’au moins un de ses auteurs, selon des responsables des services de renseignement . Elle conclut en précisant que la Commission qu’elle préside va envisager d’introduire une législation plus contraignante pour ce programme, requérant davantage de visibilité, de contrôle judiciaire et codification législative.
Alors qu’Edward Snowden s’était fait discret dans son exil russe ces derniers mois, répondant vraisemblablement à d’amicales pressions de la part de ceux qui le tiennent au chaud, il n’a pas pu s’empêcher de réagir aux propos de madame Feinstein. Pour insister surtout sur le fait que ce qu’a pratiqué la NSA est bel et bien de la surveillance. Dans un message publié par l’organisation non gouvernementale ACLU (American Civil Liberties Union), il déclare : « Aujourd’hui, aucun appareil en Amérique ne fait un appel sans laisser une trace à la NSA. Aujourd’hui, aucune transaction Internet n’entre ou ne sort d’Amérique sans passer entre les mains de la NSA. Nos représentants au Congrès nous disent que ce n’est pas de la surveillance. Ils se trompent ».
Devenue subitement consciente que sa défense inconditionnelle de la NSA n’était pas tenable, Dianne Feinstein a quelque peu rectifié le tir en déclarant en début de semaine qu’elle était « totalement opposée » à ce que les États-Unis espionnent leurs alliés. Elle réclame désormais une révision de ce qu’elle a reconnu être des programmes de « surveillance » sur lesquels sa Commission avait été insuffisamment informée.
Tant mieux. Il n’empêche que les gesticulations des dirigeants de l’Union européenne de ces derniers jours ont peu de chances de faire fléchir la NSA et ceux censés la contrôler. On aimerait que l’opinion allemande s’empare de la suggestion faite par l’éditorialiste de la Süddeutsche Zeitung Heribert Prantl que Berlin invite Edward Snowden comme témoin au Bundestag lors d’un débat sur la surveillance exercée par la NSA sur les citoyens allemands et lui fournisse à cette occasion toutes les garanties requises face au mandat d’arrêt américain dont il faut l’objet, y compris la possibilité d’une demande d’asile. L’Allemagne mettrait ainsi fermement les points sur les « i » auprès de son allié américain.