Visiblement très agacées par les révélations sur la surveillance avancée de ses communications par la National Security Agency (NSA), les autorités brésiliennes ont décidé de se donner les moyens de se mettre à l’abri des grandes oreilles américaines. Elles se distinguent en cela des gouvernements de plusieurs autres pays alliés des États-Unis, eux aussi abusivement espionnés, mais qui une fois passée les premières vagues d’indignation publique déclenchées par les documents accablants mis sur la place publique par Edward Snowden, se sont dépêchés de revenir au business as usual.
La présidente Dilma Rousseff a ainsi annoncé cette semaine le lancement d’un système national de messagerie électronique conçu pour être à l’abri des grandes oreilles nord-américaines – le Canada est lui aussi dans le collimateur de Brasilia, pour avoir espionné le ministère des mines et de l’énergie afin de favoriser les intérêts d’une compagnie canadienne en lice pour conclure des affaires avec ce secteur au Brésil. « Cette mesure est la première en vue d’augmenter le caractère privé et l’inviolabilité des messages officiels. Nous devons contrôler la messagerie afin d’empêcher un possible espionnage », a fait savoir Dilma Rousseff. C’est le service fédéral brésilien de traitement des données, le Serpro, qui a été chargé de mettre au point ce système.
Dilma Rousseff s’était fait remarquer lors de l’Assemblée générale des Nations Unies par son ton très offensif lorsqu’elle avait évoqué cette affaire. Elle avait notamment déclaré : « Sans respect pour la souveraineté, il n’y a pas de base pour des relations correctes entre nations. Ceux qui veulent un partenariat stratégique ne peuvent en aucune façon permettre que des actions répétées et illégales se poursuivent comme s’il s’agissait de pratiques ordinaires ». Dilma Rousseff a d’ailleurs joint le geste à la parole en décidant peu après l’Assemblée générale d’annuler un déplacement prévu à Washington en octobre, en protestation contre le comportement fort peu respectueux des Américains.
Certains ont accusé Dilma Rousseff de faire l’ingénue dans cette affaire afin d’engranger des points à bon compte auprès de la population brésilienne. D’autres ont suggéré que ce sont surtout les révélations sur les recherches effectuées par la NSA sur sa correspondance personnelle et son passé qui ont suscité son courroux. Ces voix lui ont reproché d’oublier que l’espionnage mutuel, qu’il soit à caractère politique ou industriel, est une dimension incontournable de la realpolitik et de la guerre économique.
C’est là mal mesurer l’ampleur de la surveillance de la NSA et son caractère délibérément intrusif, qui mettent à mal les relations bilatérales – le Brésil a été tout sauf convaincu par les protestations de bonne foi du président Obama –, mais révèlent aussi de la part des agences américaines un phénoménal mépris de la démocratie et du droit fondamental de chaque citoyen de préserver sa sphère privée de tout appareil d’État. C’est aussi sous-estimer la méfiance qui s’est installée dans les administrations espionnées lorsqu’elles se sont souvenues que la plupart des équipements utilisés pour les infrastructures du Net sont produits par des firmes américaines, sans que l’on puisse savoir avec certitude si elles y ont ménagé ou non des entrées dérobées, des « back doors » facilitant l’accès d’analystes de la NSA aux flux de données. Le ministre des communications, Paulo Bernardes, a annoncé qu’il envisageait de rendre obligatoire l’utilisation d’équipements produits au Brésil pour les infrastructures de transport de données.
Même à l’égard de Glenn Greenwald, le journaliste du Guardian installé à Rio de Janeiro qui s’est pourtant fait le porte-voix de la documentation dévoilée par Snowden, les autorités brésiliennes ont élevé la voix, le sommant de partager sans attendre les éléments non encore divulgués sur l’espionnage de la NSA. Le Brésil a aussi pris l’initiative d’organiser en avril 2014 un sommet international sur les questions de gouvernance d’Internet, au cours duquel seront représentés gouvernements, entreprises, société civile et monde académique.